La révision de la problématique être/devoir être : externalisme et internalisme en morale
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Publication date
1985Author(s)
Bégin, Luc
Abstract
L'analyse à la fois de l'évolution de la pensée morale dans la formation morale et de l'évolution de la pensée philosophique sur la morale met en évidence deux questions centrales qui, selon les réponses leur étant apportées, génèrent des conséquences majeures pour l'ensemble de la problématique morale. La première question est celle des fondements. En fait, cette question prend divers aspects selon le lieu privilégié par celui qui la formule. Alors que certains demanderont "sur quoi fonder le discours moral?" d'autres s'attarderont plutôt à demander "peut-on fonder le discours moral?". Déjà la formulation de la question oriente le traitement de la problématique morale. La première formulation révèle une reconnaissance préliminaire de la validité de fonder la morale. La métaphysique (en philosophie) et l'endoctrinement (en formation morale) se situent clairement dans ce lieu de formulation de la question. Les réponses pourront varier en fonction des voies d'accès à la connaissance de ce fondement retenues par les différentes théories, ce qui est apparu à l'analyse de ces approches (Partie I, chapitre 1). Mais en aucun temps la validité d'une appropriation philosophique de la problématique morale n'est remise en cause ou même questionnée. Le traitement de la problématique être/devoir être illustre d'ailleurs cette position d'acceptation préliminaire: la dérivation d'un devoir être à partir de ce qui est est considérée comme allant de soi. La capacité de la philosophie à connaître ce qui est rend possible et valide la dérivation d'une prescription morale. La seconde formulation de la question des fondements oriente différemment le traitement de la problématique morale et son rapport à la philosophie. En demandant implicitement "peut-on fonder le discours moral?", Moore et Ayer se situent d'emblée dans une perspective critique à l'égard du rapport qu'entretenait traditionnellement la philosophie vis-à-vis la fondation de la morale. Cette question qui se retrouve en deçà de la reconnaissance du pouvoir de la philosophie à fonder la morale ouvre la porte à un rejet de ce rôle fondationnel de la philosophie. Cette façon d'aborder la question des fondements porte l'interrogation du philosophe à un autre niveau d'analyse. En demandant "peut-on fonder le discours moral?", l'interrogation se déplace dans l'ordre du méta-discours. Afin de répondre à cette question, le philosophe doit en effet se dégager du discours moral pour élaborer un discours sur la morale. Ce n'est qu'en répondant à la question "sur quoi fonder le discours sur la morale?" qu'il peut espérer résoudre l'interrogation précédente. Le philosophe est ainsi appelé à prendre position sur le statut même du discours moral. L'emphase accordé par Moore à l'analyse de termes moraux rend compte de ce déplacement de la question dans l'ordre du méta-discours. C'est en fonction de cette analyse qu'il parvient à porter un jugement critique à l'endroit des entreprises fondationnelles en morale (Partie I, chapitre 1). Ici, le discours sur la morale se fonde sur les résultats de l'analyse de certains termes moraux, cette analyse permettant à Moore d'affirmer que la philosophie ne peut fonder le discours moral, du moins à la façon privilégiée par la métaphysique, sans commettre l'erreur naturaliste. Chez Ayer, le verdict est plus radical. Ceci tient au fait que le discours sur la morale est fondé dans son cas sur le critère de vérification expérimentale. C'est à partir de la reconnaissance de la valeur absolue de ce critère que Ayer répond négativement à la question "peut-on fonder le discours moral?". En fait, c'est la capacité de la philosophie, et donc de l'activité rationnelle, à assurer ce fondement qui est rejeté. Le discours moral se révèle ici quant à lui comme étant fondé sur les sentiments individuels (Partie I, chapitre 2).