Brotcorne, Périne
[UCL]
Faure, Laura
[UCL]
Les recherches sur les inégalités numériques ont dans l’ensemble porté leur attention sur les usages et les usagers des technologies numériques, en particulier de l’informatique connectée (Brotcorne, Damhuis, Laurent, Valenduc, Vendramin, 2010 ; Granjon, Lelong, Metzger, 2009). En revanche, peu d’entre elles ont appréhendé ce phénomène par le prisme des fournisseurs de service en interrogeant l’influence des politiques de numérisation sur le façonnage d’interfaces numériques (sites, web, applications mobiles) plus ou moins inclusives. Le maintien d’un accès équitable aux offres de service se pose avec d’autant plus d’acuité pour les organismes animés d’un « esprit public » (Thévenot, 2001) qui fondent la justification de leur existence sur des principes d’égalité de traitement des usagers. Il est pertinent de questionner la manière dont ces organismes articulent la numérisation de leurs services et le respect de leur mission d’intérêt général. Cette communication s’inscrit dans l’axe 1-B- Analyses des représentations des publics. Elle a pour objectif d’examiner le processus de « mise en technologie » (Badouard, 2014) de choix institutionnels relatifs à la numérisation d’offres de service dans trois organismes d’intérêt général en Belgique, actifs dans les domaines de la mobilité, de la santé et de l’administration. En prenant appui sur les travaux menés au Centre de Sociologie de l’Innovation (Akrich, Callon et Latour ; 2006) et sur une méthodologie d’étude de cas, l’analyse s’intéresse à la manière dont les professionnels chargés du développement des services en ligne se représentent les usagers. Elle se focalise sur un aspect particulier de leur travail, dont le rôle est majeur dans le cadre d’un programme visant la numérisation de services orientés vers le bien commun : celui qui a trait aux modalités de captation du point de vue des usagers au cours de la conception des services étudiés. Sur base d’une dizaine d’entretiens menés auprès des parties prenantes du processus de conception des services en ligne dans chaque étude de cas (n=29), les résultats révèlent globalement des biais dans la représentation des publics qui tendent à sous-estimer l’hétérogénéité des situations d’usages, notamment problématiques, voire à une invisibiliser une partie des usagers, peu ou pas connectés. En effet, derrière la rhétorique consensuelle sur la nécessité « d’embarquer » les usagers pour concevoir des services inclusifs se cachent des conceptions variées de ce que recouvre l’inclusion numérique. Cette juxtaposition de positions donne naissance à des compromis entre différentes logiques à l’œuvre : industrielle, marchande et civique (Boltanski et Thevenot, 1991). Ceux-ci se matérialisent dans des méthodologies de prise en compte de la « voix » des usagers qui attestent d’une attention variable au principe d’intérêt général et, de là, à celui de représentativité de la pluralité des publics concernés. Qu’il s’agisse d’une participation volontaire des usagers à travers l’expression de leur point de vue ou d’une implication davantage par défaut par le biais de la captation de traces numériques, ces dispositifs se déploient globalement sur fond d’impensé numérique (Robert, 2011), ce qui contribue à la conception d’interfaces numériques répondant avant tout aux besoins d’un usager standard « mobile et connecté ».Dans un contexte de dépendance accrue au numérique (Beauchamps, 2012), les résultats pointent ainsi le risque d’aboutir à l’émergence progressive de services à deux vitesses, et ce malgré leur mission d’intérêt général. Aux usagers connectés, les organismes offriront ainsi des services personnalisés en temps réel, tandis qu’aux autres, ils proposeront l’accès à des services de base.
Bibliographic reference |
Brotcorne, Périne ; Faure, Laura. Une conception de services numériques d’intérêt général qui peine à inclure tous les usagers .Les Midis du service d’études de la Caisse Nationale d'assurance vieillesse (Paris, 28/06/2019). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/223078 |