Mbuyi Kabong, Brandon
[UCL]
Mouffe, Bernard
[UCL]
Si la lutte contre toutes les formes de discours de haine ciblant les minorités ethniques n’est pas un combat nouveau, cette lutte s’est imposée aujourd’hui comme un enjeu juridique et politique majeur. Pour lutter contre ces discours, nous verrons que le législateur est intervenu tant au niveau belge qu’au niveau international et qu’il a adopté toute une série de dispositions visant à lutter contre toutes les formes de propos racistes. D’un point de vue pratique, ces dispositions ont été adoptées dans le but de combattre certains discours qui seraient en mesure de nuire à la démocratie et qui traduisent une intolérance manifeste vis-à-vis de ceux qui sont différents. Néanmoins, ce discours de haine raciale se heurte à l’un des fondements essentiels de notre société démocratique, la liberté d’expression, dont les limites et l’étendue suscitent encore de nombreux débats. Pour certains, en cas de conflit entre la liberté d’expression et d’autres libertés, c’est la liberté d’expression qui devrait prévaloir alors que pour d’autres, cette liberté devrait être encadrée afin de prévenir les dérives éventuelles. À ces derniers il est souvent opposé le principe dégagé par la Cour européenne des droits de l’homme selon lequel, la liberté d’expression « vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ». En ce sens, « toute action juridique ou politique pour limiter le discours de haine n’est pas exempte de danger non seulement parce qu’elle peut porter atteinte à la liberté d’expression, mais aussi parce qu’elle peut être utilisée comme un instrument d’intimidation et de répression de l’opposition ». De nombreux auteurs ont vivement critiqué l’opportunité des actions juridiques destinées à lutter contre les discours racistes. Ces auteurs considèrent que le discours de haine ne peut être combattu qu’en favorisant le mélange, l’apprentissage de la différence et l’éducation à la liberté d’expression et que « seules des incitations directes à la violence pourraient justifier des limites à la liberté d’expression ». C’est dans ce contexte particulier que s’inscrit l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Delfi c. Estonie du 16 juin 2015, qui est un arrêt dans lequel la grande chambre a jugé qu’un portail d’actualités sur internet pouvait être tenu pour responsable pour des commentaires laissés par les internautes sans qu’il n’y ait là violation de la liberté d’expression du portail d’actualités. Les critiques immédiates de cet arrêt ont été nombreuses à l’époque, de nombreux auteurs estimant qu’il s’agit d’un dangereux précédent pour l’exercice de la liberté d’expression en ligne. Nous verrons que cette crainte est d’autant plus confirmée depuis que la Cour a clarifié sa position dans l’arrêt Magyar et Index c. Hongrie du 2 février 2016 en précisant qu’est visé par sa décision du 16 juin 2015, uniquement les commentaires d’internautes dont le contenu prend la forme d’un discours de haine ou dont le contenu appelle à la violence. Ainsi, la responsabilité des portails d’actualités est susceptible d’être engagée pour des commentaires laissés par les internautes, dès que le contenu de ces commentaires contient un discours raciste. Ces développements récents dans la jurisprudence de Strasbourg ont des conséquences dans la pratique des portails d’actualités, puisque ces portails se voient désormais imposer certaines obligations spécifiques. Ils devront notamment faire preuve de plus de prudence lors de la mise en place de dispositifs permettant aux internautes de commenter une information, surtout lorsque les auteurs de ces commentaires ont la possibilité de s’exprimer anonymement. En Belgique, nous verrons malgré tout que les conséquences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sont pour le moment limitées, car les juges nationaux appliquent les garanties constitutionnelles de la liberté de presse à l’environnement d’internet. Cela signifie que les auteurs de propos racistes seront eux-mêmes responsables et que les portails d’actualités ne seront responsables que si les auteurs des propos racistes ne peuvent pas être identifiés ou ne vivent pas en Belgique. On voit donc que le droit belge permet de limiter les atteintes à la liberté d’expression des portails d’actualités tout en prenant en compte les intérêts légitimes et les droits d’autrui. Néanmoins, cette jurisprudence strasbourgeoise envoie un message fort à l’attention des autorités nationales et des intermédiaires sur internet qui pourrait avoir des conséquences négatives sur l’exercice de la liberté d’expression en ligne. Nous verrons que c’est de toute évidence compte tenu du risque de voir sa responsabilité engagée pour des commentaires haineux laissés par des internautes, que récemment le géant groupe de presse, Roularta, a pris la décision de retirer purement et simplement cette fonctionnalité. Le risque désormais c’est de voir la décision de cet important groupe de presse influencer la pratique des portails d’actualités en les poussant à fermer l’espace de commentaires. Il parait dès lors important d’attirer l’attention du grand public dans la mesure où un tel mouvement aurait des conséquences négatives sur la liberté d’expression et créerait « un appauvrissement déplorable de la conversation publique sans laquelle il n’existe plus de société démocratique ». Ce travail se propose dès lors de répondre à cette problématique qui présente un intérêt majeur pour les intermédiaires sur internet ; dans le cadre d’une réflexion centrée autour de la conciliation entre la liberté d’expression et le discours de haine raciale sur internet.
Bibliographic reference |
Mbuyi Kabong, Brandon. Responsabilité des portails d’actualités et commentaires racistes d’internautes : le point sur la situation en droit belge au regard de la jurisprudence de Strasbourg. Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : Mouffe, Bernard. |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:18722 |