Quoilin, Angélique
[UCL]
Wagener, Martin
[UCL]
L’intérêt pour la problématique du cannabis au sein de l’Euregio Meuse-Rhin (EMR) est né à partir du constat d’une situation hors de contrôle: les fameuses ‘politiques de tolérance’ autour du cannabis pratiquées de manière hétéroclite par les trois pays (Belgique, Allemagne et Pays-Bas) et les effets pervers qui en découlent. Un retour aux premiers traités de lutte antidrogues (les conventions internationales), révèle une succession de durcissements dans le but de placer certaines substances (drogues) sous contrôle ; ce qui limite la marge de manœuvre législative des pays signataires. En résulte que les trois pays mènent chacun leur propre ‘politique de tolérance’. Toutefois, dans un contexte de frontières ouvertes (comprenez de libre circulation des personnes), il convient d’inscrire les politiques publiques à l’échelle internationale voir transrégionale. Selon un rapport réalisé par les criminologues Cyrille Fijnaut et Brice De Ruyver en 2008, le phénomène de la drogue dans l’EMR est la résultante des différentes politiques mises en œuvre en la matière. Véritablement, l’échelle d’analyse des politiques publiques s’est internationalisée et transnationalisée. Dans cette logique, la sociologie de l’action publique représente un cadre d’analyse qui permet de rendre compte du caractère collectivement construit de l’action publique contemporaine, à partir de cinq variables reliées entre elles: les acteurs, les représentations, les institutions, les processus et enfin les résultats. Afin de compléter notre cadre théorique, la sociologie de la police nous a éclairé d’une part, sur le rôle et le fonctionnement de la police en tant qu’organisation et d’autre part, sur le profil du policier. D’un point de vue méthodologique, le phénomène lié au cannabis dans l’EMR a donc été étudié à la lumière, d’une part, la sociologie de l’action publique et, d’autre part, la sociologie de la police. L’enjeu de ce mémoire étant de saisir la résonnance dudit phénomène sur les logiques d’action des enquêteurs concernés, la problématique a été formulée comme suit: Dans un contexte d’interdépendance aux régimes des pays voisins et de leurs effets, comment comprendre les logiques d’actions des enquêteurs affectés aux ‘divisions stupéfiants’ face au phénomène du cannabis ? Focus sur l’Euregio Meuse-Rhin, ce territoire de frontières ouvertes. A ce titre, l’échantillon est constitué de neuf enquêteurs affectés aux ‘divisions stupéfiants’ de l’EMR; soit trois pour chaque pays. Leurs discours ont été recueillis au moyen d’une approche qualitative basée sur des entretiens compréhensifs selon Jean-Claude Kaufmann. Pour l’analyse des résultats, nous avons mobilisé la sociologie compréhensive selon Max Weber qui s'attache au sens que les personnes et les organisations donnent à leurs pratiques et à leurs représentations. En guise de grille d’analyse pour éclairer notre recherche, nous avons retenu la typologie de l’action sociale de Max Weber qui distingue quatre types d’actions. Toutefois, ces quatre idéaltypes n’existent pas tels quels dans la vraie vie et ont été adaptées comme suit: la rationalité inconsciente (l’héritage culturel et domestique), la rationalité du ressenti (les empreintes instinctives), la rationalité de préférence (les motivations qui renvoient vers l’accomplissement d’une valeur) et la rationalité comparative (la mise en perspective des moyens et des buts). De manière succincte, nos résultats tiennent en quatre points: - La rationalité inconsciente des enquêteurs, c’est-à-dire leurs normes et leurs valeurs qui sont construites et influencées, à bien des égards, par les politiques publiques. - La rationalité du ressenti qui se rapporte aux ressources (grade, réseau et connaissance des procédures) dont disposent les enquêteurs et au sentiment d’unité à l’organisation qu’ils éprouvent. - La rationalité de préférence concerne les motivations qui renvoient vers l’accomplissement d’une valeur et concerne l’(in)efficacité des systèmes juridiques (la liberté conditionnelle et la condamnation pénale), la logique conciliatrice relative aux politiques en matière de cannabis, l’autonomie rognée par la sélection politisée, la logique d’intégralité (dans le sens de globalité) et les craintes des enquêteurs. - La rationalité comparative consiste en la mise en perspective des moyens dont disposent les enquêteurs et des buts à atteindre. Notre objet d’analyse, qui a débuté à partir du constat d’une situation hors de contrôle, nous a permis de comprendre ce qui suit: Les logiques d’actions, les pratiques et les finalités (la raison d’être) des enquêteurs sont le produit des politiques publique. Dans le contexte étudié, le principe de légalité est caduc: la mise en œuvre de la liberté conditionnelle est à revoir en tenant compte des besoins sociaux. Le manque de capacité humaine affectée aux ‘divisions stupéfiants’ de l’EMR résulte directement d’une volonté politique et opère une sélection des dossiers à traiter et in fine une banalisation du cannabis en tant que substance mais aussi en tant que délit/crime. L’intérêt que nous avons porté aux politiques publiques autour du cannabis nous révèle des dynamiques à la teneur à la fois imprévisibles en termes de résultats et d’effets visibles sur le terrain et, à la fois difficilement conjugables au niveau eurégional au vu de la complexité des enchevêtrements des différents niveaux de décision et de compétences.
Bibliographic reference |
Quoilin, Angélique. Dans un contexte d’interdépendance aux régimes des pays voisins et de leurs effets, comment comprendre les logiques d’actions des enquêteurs affectés aux ‘divisions stupéfiants’ face au phénomène du cannabis ? Focus sur l’Euregio Meuse-Rhin, ce territoire de frontières ouvertes.. Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Université catholique de Louvain, 2020. Prom. : Wagener, Martin. |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:28170 |