Le rôle de l'Histoire dans la pensée politique de Charles Taylor

Afin de répondre aux critiques libérales qui l'accusaient de faire plier la raison face à la tradition communautaire au nom d'impératifs métaphysiques, Charles Taylor sépare nettement son ontologie de ses prises de position normatives. Si les conceptions de la nature de l'agent moral ou de la réalité des valeurs structurent effectivement le champ des possibles des orientations politico-morales de la philosophie, elles ne la déterminent pas pour autant de part en part. Néanmoins, en ce qui le concerne, Taylor ne précise pas plus avant ce qui nourrit son engagement normatif en faveur de la reconnaissance dans l'espace public d'identités collectives, suggérant implicitement que ses considérations normatives ressortent d'une catégorie indépendante d'arguments. Cet article cherche à rectifier cette impression première d'isolation. Selon la lecture alternative que l'on se propose d'explorer, la pensée morale et politique de Taylor ferait fond sur une conceptualisation de l'Histoire qui joue un rôle normatif important. Taylor appuie discrètement toute son argumentation philosophique sur une Histoire dont on cherchera à démontrer qu'elle se déroule selon une dialectique interne et qu'elle s'oriente en fonction d'une téléologie singulière. Cette structuration de l'histoire dépasse la simple reconstruction historiographique du passé dans la mesure où les éléments de son organisation interne font système et se répondent mutuellement pour esquisser une philosophie spéculative de l'histoire qui permet non seulement la compréhension du passé mais autorise également l'énonciation de prescriptions pour le futur. A ce titre, l'histoire chez Taylor n'est pas un outil neutre d'exposition de ses arguments mais bien plus le milieu qui détermine les orientations morales et politiques de sa philosophie. On terminera en observant comment cette reconstruction de l'histoire sous les traits d'un schéma explicatif englobant est mobilisée pour restaurer la légitimité endommagée de certaines sources morales et tenter de leur (ré)octroyer une place de premier plan au sein de la réflexion philosophique.