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Israël Palestine. Ce n’est qu’un débat

[autre]

Personne interrogée :
Interviewer :
Année 1979 10 p. 11
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ENTRETIEN

A PROPOS D’UN LIVRE

ISRAEL

PALESTINE

ce n'est qu’un débat

Sahar Khalifa est Palestinienne. Elle est née et a vécu dans les territoires occu¬ pés par Israël depuis 1967. Elle écrit. Elle était de passage à Paris le mois der¬ nier pour présenter son second roman : Chronique du figuier barbare.

La voir, pour moi, un désir à la fois naïf (sur fond d’arc-emciel, deux mains, cel¬ les de la Juive et de la Palestinienne se joignent au dessus des flots sombres) et plus réaliste : ayant vécu en Israël, il est pour moi important de parler avec une femme palestinienne.

— Les Français qui n’y sont jamais

allés, n’ont qu’une idée parcellaire (ou composée d’autres parcelles que les miennes) et théorique de la situation. D’emblée, Sahar m’a dit : “Ce sont nos deux peuples que nous devons éduquer. Nous devons leur montrer quels sont leurs besoins véritables : la religion est une affaire personnelle. On peut prier en silence. Mais les problèmes économi¬ ques sont réels. Nos deux peuples doi¬ vent comprendre que seule une véritable coopération économique est viable au Moyen Orient”. D’emblée, j’ai dit : “Il est bien évident que les Israéliens doivent rendre les territoires occupés en 1 967, et qu’un Etat palestinien doit y être créé”. Tout avait l’air simple ce matin-là. Nous étions heureuses de nous parler, nous avions “résolu” le problème tout de suite, le soleil par la vitre de HLM, l’accent de Sahar en angled le café, assises par terre sur des .. luasins... J’avais l’impression d’être là ■ , tran¬

quille... Trop simple...

Bien entendu, je ne parle que de mes impressions propres. De mes désirs, et de mon sentiment d’échec...

Désir de gommer tout désaccord, de se sentir proches. On l’a pourtant assez proclamée, la différence, être autre et acceptée comme telle... Mais quand le sol est truffé de bombes, on a quand même ce désir très fort de dire : nous sommes pareilles.

— La différence s’est imposée d’elle-même. Et tant mieux. Moi, Parisienne tranquille et (je l’ajoute pour éviter à cer¬ taines la peine d’y penser), ayant vécu dans le camp “des oppresseurs”, je demandais à Sahar : “As-tu déjà parlé avec des femmes israéliennes, ne penses-tu pas que nous pourrions nous, femmes, sortir de l’impasse politique, par une parole, une pratique différente ?”

Sahar répondait : “Tant que les Israé¬ liennes me parleront avec mépris, en se considérant comme supérieures à moi, je ne m’assiérai pas avec elles. Qu’elles acquièrent une certaine conscience politique. Alors nous pourrons parler”. Elle dit aussi : “Une femme qui est née dans les camps ne se pose pas le pro¬ blème de son oppression spécifique. Elle doit se battre ou mourir”.

Et aussi : “Je ne parlerais pas plus à une femme arabe conservatrice qu’à une israélienne raciste. La femme arabe me jetterait dehors. C’est une perte d’éner¬ gie. Il faut s’unir pour lutter avec les femmes qui ont pris conscience du pro¬ blème, puis le groupe parlera à d’autres femmes, etc.”.

Pour Sahar qui a toujours vécu dans la guerre, la lutte des femmes est un com¬ bat quasi-“militaire” : “Comme nous avons eu un combat commun contre l’oppresseur, nous ne pouvons pas séparer la lutte des femmes de toutes les formes d’exploitation. Dans cette situation, une expérience spécifique se développe. Les femmes acquièrent les capacités physiques et psychologiques nécessaires, en même temps qu’elles comprennent que la liberté ne s’obtient pas gratuitement. Les femmes ne se révoltent que lorsqu’elles comprennent qu’une alternative est possible”. De nouveau, pleine d’espoir, j’ai demandé : “Le fait de voir des femmes israélien¬ nes, en short, sortant librement, parlant, a-t-il eu un effet sur les femmes arabes des territoires occupés ?”

“Oui. Un effet de rejet. Elles assimilent ces pratiques au pays qui les opprime.

Dans le reste du monde arabe, par con¬ tre, nous nous sommes développées”. “Mener de front, dialectiquement, la lutte des femmes, des travailleurs, et des peuples opprimés... Eveiller les consciences... Avoir un programme pour les femmes au sein de l’OLP... Les situa¬ tions de crise engendreront des êtres “humains”... Les chocs permettront de faire jaillir le côté lumineux des gens...”. “Trouver un discours de femmes... savoir que par delà les frontières nos douleurs sont les mêmes... remplacer les bombes par un dialogue...”.

Mon sentiment d’échec, c’est cette impression que nos deux discours

étaient les stéréotypes de nos situa¬ tions respectives : Sahar utilisant des formules de l’OLP et d’un certain dis¬ cours “libération des femmes”, et moi baignant dans le sirop de la non¬ violence, de l’amour commun pour une terre, de la sororité...

Mon désir de trouver avec elle une alter¬ native, ou plus exactement, de simple¬ ment établir un contact infime qui ferait que plus tard, des femmes juives et ara¬ bes disent il y en a marre de la guerre, ce sentiment que la situation, menée par des hommes est une impasse totale, tout cela s’affadissait pour ne devenir qu’une bouillie de bonnes intentions

humanistes. Quant à Sahar, ce que j’avais aimé dans son livre, les images, les émotions, les nuances, le refus des étiquettes, des discours trop carrés, du simplisme, tout cela disparaissait der¬ rière les formules de son “clan”.

Il reste son livre, ‘‘Chronique du Figuier barbare’’, et le fait que j’ai encore envie de lui parler, et le fait que certains mythes deviennent à la longue si gênants qu’on fait tout pour s’en débar¬ rasser.

Ruth Stegassy

Note : Chronique du Figuier barbare, de Sahar Kha¬ lifa (Gallimard).

Note : Chronique du Figuier barbare, de Sahar Kha¬ lifa (Gallimard).