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Introduction à bâtons rompus

[liminaire]

Année 1993 21-22 pp. 3-4
Fait partie d'un numéro thématique : Collections et collectionneurs
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PERSPECTIVE

Introduction à bâtons rompus

L’histoire de l’art «traditionnelle » fatigue, soit que sa technicité en matière de mémoire visuelle et d’attribution, qui requiert des dons particuliers, rebute, soit qu’elle ne satisfasse pas de légitimes ambitions intellectuelles. C’est ainsi que beaucoup de bons esprits se sont lan¬ cés dans les sentiers aventureux, mais aujourd’hui aussi encombrés que la Mer de glace, des sciences humaines, où règne une si grisante liberté. Délivré des contraintes de la vérification et des réalités, souvent un peu décevantes, on peut appliquer aux œuvres d’art les méthodes de la sociologie, de la linguistique, de la sémiologie, de la psychanalyse ou, dans le pire des cas, du féminisme ou du néo-marxisme, qui font tant de ravages dans les universités anglaises et américaines. Plus sagement (bien que cela n’évite nullement l’emploi des mêmes méthodes, arrachées à leur terrain d’origine dans un souci d’ «interdisciplinarité », qui éblouira au moins l’administration de la recherche), des historiens de plus en plus nombreux ont choisi de s’inté¬ resser non plus seulement aux producteurs mais aux consommateurs d’œuvres d’art, en parti¬ culier aux collectionneurs. De ce succès, rien ne témoigne mieux que la publication à Oxford, depuis quelques années, d’un Journal of the History of Collections . Il est vrai qu’Oxford est le ter¬ ritoire de Francis Haskell, qui a donné tant de lettres de noblesse à cette spécialité depuis trente ans.

Non pas d’ailleurs que ce soit une idée nouvelle. Pour nous en tenir à la France, c’est ce que se proposaient déjà il y a un siècle, avec des fortunes inégales, Dumesnil, Clément de Ris ou Bonnaffé. Le territoire est vaste, puisque le collectionneur ne s’est jamais limité aux œuvres d’art désignées comme telles; mieux même, le XXe siècle nous a enseigné les collections de boîtes à fromage, de bagues de cigare ou même de collections, au point qu’il faut résister sans cesse, horribile dictu, à l’idée qu’il y a là dessous quelque ressort psychologique, voire patholo¬ gique. Histoire de l’art, comme son nom le laissait prévoir, a su éviter ces errements, mais ce numéro rappelle ici ou là l’étendue de la curiosité dans le monde ancien. Les cabinets de curio¬ sités abritaient toutes les merveilles du monde, qu’elles fussent naturelles ou artificielles, ou un peu des deux, comme les raretés ethnographiques.

Même si l’on reste sur le terrain des œuvres d’art, la matière est complexe. Ce que les Anglais appellent patronage (qu’on ne peut rendre par «mécénat », qui a un sens plus précis et plus limité) ne se confond pas avec la collection. Or cette confusion est fréquente et explique par exemple l’idée abusive et lassante que toute collection princière est par nature une manifesta¬ tion politique. Il est bien vrai toutefois que les deux notions peuvent confluer; ainsi les princes sont souvent à la fois «patrons » et collectionneurs. De même un La Vrillière achetait des tableaux, en commandait et fit même décorer une galerie où il rassembla lentement les grandes toiles qu’il avait commandées aux meilleurs peintres d’Italie. L’un des exemples les plus frap¬ pants est celui du Cabinet du roi au château de Richelieu, où l’on plaça côte à côte dans un même ensemble décoratif les toiles du studiolo d’Isabelle d’Este peintes autour de 1500 et trois Bacchanales commandées à Poussin.

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L’étude du «patronage » et des collections enrichit si singulièrement le tableau de la vie artistique, qu’on est tenté de pousser plus loin, vers la sociologie. Qui, comment, pourquoi

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