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Petit dictionnaire de la vie pratique

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COMMENT SE FABRIQUENT LES NOUVELLES ALLUMETTES.

Depuis déjà longtemps se pose en France la question des allumettes, et cela à un double point de vue. Pour, le consommateur, client obligé de l’Etat, il serait assez intéressant d’avoir à sa dis¬ position des allumettes prenant bien et ne coû¬ tant pas trop cher ; mais, ce côté de la question est quelque peu négligé, tout au moins dans son second terme, précisément parce que la clientèle ne peut aller ailleurs qu’aux manufactures de l’Etat. Au point de vue de l’hygiène des ouvriers et ouvrières employés à la fabrication, un mou¬ vement s’était produit parmi eux et parmi les hygiénistes de profession, en vue d’obtenir un procédé de fabrication moins dangereux que celui qui était couramment pratiqué : on affirmait en effet que les vapeurs du phosphore dont on en¬ duit les allumettes, qui formedeur bouton, comme on dit, causaient les plus graves affections chez les allumettiers. C’est ce que l’on nomme le phos¬ phorisme, ou la nécrose phosphorée, qui entraîne des lésions internes 'des os et notamment de la mâchoire.

En réalité, et tout en considérant que, dans l’intérêt général, on ne saurait trop répandre les mesures d'hygiène industrielle, il semble bien que l’on a exagéré les dangers que couraient les allumettiers : ceux-ci étaient naturellement inté¬ ressés à se faire porter comme malades le plus 'souvent possible, afin d’obtenir des congés de convalescence et même une retraite. Une venti¬ lation énergique, nécessaire dans la plupart des industries, eut pu sans doute éliminer tout dan¬ ger : c’était ljopinion dü Dr Magitot, qui avait étudié de très près' cette question, et d’autres considéraient avec lui une ventilation puissante comme suffisant à supprimer toute cause de plainte.

A la vérité, les vapeurs de phosphore rouge ne présentent pas les inconvénients de celles du phosphore blanc, et l’on essaya d’introduire cette variété de phosphore dans la fabrication. Malheu¬ reusement, le phosphore rouge ne s’enflamme qu’à une température relativement fort élevée de 260° : il fallait composer le bouton de l’allumette à la fois de phosphore rouge (comme matière combustible) et d’une matière comburan te suscep¬ tible de fournir un puissant dégagement d’oxy¬ gène. On prit pour cela le chlorate de potasse. Mais ce mélange, phosphore rouge et chlorate, produit une combustion extrêmement vive : c’est une vraie petite explosion, avec projection de jets de flamme, de matières enflammées ; les allumettes crachent, ce qui est à la fois désa¬ gréable et dangereux. Ajoutons .que l’explo¬ sion peut même se produire d’une façon pré¬ maturée pendant qu’on prépare à l’usine la pâte qui formera le bouton des allumettes. Cet essai fut donc un échec, mais il mérite d’être retenu, car c’est lui qui a amené la création définitive des allumettes nouvelles que l’Etat met à notre disposition.

En somme, jusqu’à ces derniers temps, toutes les allumettes connues et couramment employées étaient à base de phosphore blanc, sauf les allu¬ mettes de sûreté ou amorphes, qu’on appelle aussi suédoises. Dans ces dernières, la pointe est

Comment se fabriquent les nouvelles allumettes

enduite uniquement de chlorate de potasse mêlé à de la colle : pour l’allumage, la matière com¬ burante, le chlorate, est mise en contact avec une matière combustible sensible, le phosphore rouge, étendu sur le grattoir auquel on frotte l’allumette. Mais c’est du phosphore blanc qui forme le bouton de l’ancienne allumette clas¬ sique eh bois, enduite en outre de soufre' tout près de son extrémité : la flamme peu chaude du phosphore ne suffirait pas à enflammer le bois sans cette addition de soufre. Pour les allumettes en bois paraffiné ou en cire, qu’on emploie beau¬ coup à l’étranger, mais que l’Etat français vend à un prix ridiculement élevé, la matière combus¬ tible est encore du phosphore blanc, additionné de chlorate de potasse.

Deux ingénieurs des manufactures de l’Etat, MM. Sevène et Cahen, paraissent avoir trouvé une heureuse solution qui élimine complètement le phosphore blanc et qui donne des allumettes de bonne qualité. Ils conservent comme matière comburante le chlorate de potasse, qui possède de réels avantages, et ils lui allient une nouvelle substance combustible, le sesquisulfure cle phos¬ phore, qui est essentiellement un composé de phosphore et de soufre. Ce composé présente les mêmes propriétés que le phosphore blanc, mais sans émettre de vapeurs nuisibles ; il s’enflamme du reste à 9S°, ce' qui est assez voisin de la tem¬ pérature d’inflammation du phosphore blanc : le frottement peut aisément le porter à cette tem¬ pérature de 95° et le faire brûler grâce à la pré¬ sence du chlorate. Le sesquisulfure ne bout qu’à 380°, par conséquent il ne dégage pas de vapeurs, pas d’odeur, pas de fumées dans les ateliers de fabrication. Bien plus, même par absorption di¬ recte, sa toxicité est excessivement faible, et d’après des expériences faites par MM. Sevène et Cahen sur de pauvres cobayes, il en faudrait pro-. bablement 3 grammes et demi pour provoquer la mort d’un adulte. Or, 3 grammes et demi, c’est le poids de sesquisulfure contenu dans 6000 allu¬ mettes ! On pourrait donc, impunément, sans que toutefois nous conseillions cette pratique, laisser tomber dans la soupe un paquet des nouvelles allumeLtes S. C., comme on les désigne sous les initiales de leurs inventeurs.

Ces allumettes sont déjà lancées dans la circu¬ lation depuis un certain temps : nous ne dirons pas qu’elles soient meilleures que les anciennes allumettes au phosphore blanc, mais du moins leur fabrication ne présentera aucun inconvé¬ nient au point de vue de l’hygiène. Ce qu’on peut leur reprocher, comme à toutes celles des marfu-factures de l’Etat français, c’est de coûter extrê¬ mement cher, de se vendre à un prix hors de proportion avec celui des excellentes allumettes que fournit l’industrie privée dans les pays étran¬ gers.

Daniel Bellet.