DHA 40/ 2-2014 Dialogues d’histoire ancienne 40/ 2-2014, 179-191
Le mystérieux doublement de la rançon gauloise et le procès de Manlius Capitolinus
Bruno Poulle*
Le siège du Capitole par les Gaulois de Brennus, suivi du versement d’ une rançon par les Romains assiégés, constitue assurément un des épisodes les plus célèbres de l’ histoire romaine. Après la longue influence de l’ école hypercritique s’ appuyant sur l’ absence de preuve archéologique que Rome ait été incendiée1, les historiens modernes conviennent maintenant qu’ il s’ est bel et bien agi d’ un événement historique2 : les auteurs romains, loin de passer sous silence un moment peu glorieux de leur histoire nationale, ont gardé la mémoire de ce traumatisme exceptionnel. La tendance actuelle de l’ historiographie est donc de plus en plus d’ admettre l’ historicité des événements du début du IVe siècle av. J. C. 3, même si, tout le monde en convient, la légende s’ est très tôt emparée des faits pour déformer le détail des récits4. Notre propos ne saurait être ici de reprendre l’ analyse de l’ ensemble de l’ épisode gaulois, mais d’ examiner seulement un *
1 Sur cette absence de traces, voir F. Coarelli, «La stratigrafia del Comizio e l’ incendio Gallico » , dans I Galli e l’ Italia,
Rome, 1978, p. 229-230.
2 M. Torelli, «Il sacco gallico di Roma » , dans I Galli e l’ Italia, Rome, 1978, p. 226-229. D. Briquel, La prise de Rome par les Gaulois, Paris, 2008, p. 27-32.
3 Ainsi, sur la question particulière du débordement du lac Albain, lié à la prise de Véies, voir l’ étude novatrice et convaincante d’ A. Grandazzi, «Une nouvelle hypothèse sur le miracle du lac Albain » , Bulletin de l’ Association Guillaume Budé, 1, 2003, p. 96-106.
4 D. Briquel, op. cit., p. 32-35 et passim. Les légendes se sont accumulées et enchevêtrées jusqu’ à reconstituer l’ histoire. Dans le même esprit, voir les études successives de J. Gagé, Huit recherches sur les origines italiques et romaines, Paris, 1950, p. 143-183 ; «La balance de Kairos et l’ épée de Brennus, à propos de l’ aurumGallicum et de sa pesée » , Revue Archéologique,
43, 1954, p. 142-176 ; et «Les clients de M. Manlius Capitolinus et les formes de leur libération » , Revue Historique de droit français et étranger, 44, 1966, p. 342-377. En particulier, à la suite d’ O. Skutsch («The fall of the Capitol » , Journal of Roman Studies, 43, 1953, p. 77-78) et de N. Horsfall («From history to legend : M. Manlius and the geese » , Classical Journal, 76, 1981, p. 298-311) G. Perl («Haben die Gallier bei der Eroberung Roms auch den Capitolinischen Hügel eingenommen ? » , Klio, 89, 2007, p. 346-355) soutient l’ hypothèse que les Gaulois s’ étaient emparés aussi du Capitole : la rançon serait la contrepartie non seulement de leur retrait, mais aussi de leur renoncement à incendier la ville.
