Frankenstein ou le photographe moderne
Résumé
Si Victor Frankenstein n’avait pas été scientifique et qu’il avait vécu
de nos jours, peut-être aurait-il été un artiste, et même un photographe.
Débutons avec une hypothèse allant dans ce sens : alors que la
fiction, en général, et le genre de la science-fiction, en particulier, ont
longtemps été l’apanage de la littérature puis du cinéma, les études
photographiques gagneraient elles aussi à s’emparer aujourd’hui de
ce concept et de ce genre. Mon propos vise donc à mettre en avant
l’intérêt que représente la science-fiction pour une analyse du médium
photographique et de son potentiel fictionnel. À partir de la notion de
photographie comprise en tant qu’image-fiction, émise notamment
par le chercheur André Gunthert1 et le professeur Philippe Dubois2, je
mettrai en évidence les relations interdiscursives de ce médium avec
le célèbre ouvrage de Mary Shelley. Je croiserai ainsi la pratique photographique et l’une des figures les plus importantes de la science-fiction
littéraire, le personnage de Victor Frankenstein, pour comparer les
innombrables transformations du corps humain proposées par l’image
en regard de l’influence de cette créature composite. Utilisée dans
l’art contemporain pour questionner ce que l’on entend aujourd’hui
par « monstruosité » ou pour représenter les idées posthumanistes,
cette créature marque plus largement notre quotidien. C’est que la
personne photographe et Victor Frankenstein manipulent tous deux
le vivant et le non-vivant afin de donner vie à des entités nouvelles,
fictives, qui redéfinissent les formes biologiques de l’humain soit par
la manipulation plastique et numérique du médium photographique,
soit par la chirurgie.
Il s’agira d’abord de mettre en perspective la conception de la science
que propose Shelley et le développement de la pratique photographique.
On présentera ensuite l’écho du monstre dans la photographie
contemporaine comme une manière artistique d’envisager le rapport
aux sciences du vivant. Puis, les images contemporaines artistiques et
populaires permettront de percevoir en fin de compte l’importance de
l’aspect fictionnel dans la pratique photographique et également audelà
du domaine artistique.