Pénélope Patrix
Descentes fictionnelles dans les sous-mondes de Paris et de Lisbonne
Analyse comparée du motif des «bas-fonds » dans deux Mystères urbains
Submundos, underground, «bas-fonds » , bajos fondos… La littérature du
xixe siècle est hantée par la vision de mondes souterrains cachés sous les villes modernes, recélant une multitude d’hommes, de femmes et d’enfants dépravés et malfaisants, fomentant des mauvais coups dans l’ombre, prêts à tout moment à envahir la ville pour y faire régner le chaos. Le motif des «bas-fonds » urbains a en effet été, entre 1830 et 1920, un ressort important du roman-feuilleton, mais aussi, plus largement, des fresques réalistes et naturalistes, du roman noir, du roman social, et, au-delà du domaine romanesque, de la chanson, de la poésie, du théâtre, de la chronique journalistique, de l’iconographie puis du cinéma1. Les représentations de l’ «envers » urbain, matérialisé par des catacombes, caves, égouts, cryptes, mines, allégories de la «caverne sociale » 2, envahissent les productions culturelles au point que Guy de Maupassant en 1882 raille cette «bas-fondmanie » qui atteint, telle une épidémie, les écrivains de son temps, en réaction à l’idéalisme du siècle précédent, par l’étude obsessionnelle «des filles et des pochards3 » . L’obsession de la fange, de la «mauvaise vie » , du crime, des espaces interlopes et de la ville cachée est telle que les oeuvres elles-mêmes, jugées obscènes, deviennent par métonymie l’objet d’invectives qui les assimilent à ces bas-fonds : oeuvres putrides, d’égouts, d’ordures, «immonde littérature4 » … La manie bas-fondmane sévit au niveau mondial. Ses produits et ses formules circulent au-delà des frontières, transportés, traduits, copiés, transposés, dans une période d’essor de l’imprimé et de mobilité importante des hommes, des oeuvres et des marchandises à travers les ports et les capitales, si bien que l’historien du crime Dominique Kalifa considère que la littérature des bas-fonds constitue un des premiers phénomènes de mondialisation culturelle5. Elle serait donc à envisager sous l’angle de l’avènement de la «littérature mondiale » , objet de prédilection des études comparatistes, chargées d’analyser les réseaux communs entre oeuvres et entre cultures médiatiques à l’échelle 41
