Georges Passelecq, Bernard Suchecky, L'Encyclique cachée de Pie XI, Une occasion manquée de l'Église face à l'antisémitisme (Préface de Emile Poulat), Paris, La Découverte, 1995, 321 p.

Deux chercheurs belges, l'un moine bénédictin de l'abbaye de Maredsous, ancien résistant et déporté, Georges Passelecq, l'autre historien juif, bibliothécaire à Strasbourg, Bernard Suchecky, ont associé leurs efforts pour retrouver et publier un projet d'encyclique commandé dans le secret en juin 1938 par le pape Pie XI quelques mois avant sa mort. La préface d'Emile Poulat, à la fois rigoureuse et fournie, situe bien en une vingtaine de pages les deux personnages centraux de cette histoire restée ambiguë : le pape Pie XI et le jésuite John Lafarge. En même temps l'historien, en fin connaisseur des règles du Vatican, s'interroge sur les motifs de la disparition de cette ébauche d'encyclique restée à l'époque tout à fait ignorée.

Au cours de l'été 1938, en vue de rédiger une encyclique qu'il projetait de faire paraître contre le racisme et pour affirmer l'unité du genre humain, Pie XI convoque au Vatican un jésuite américain, le Père John Lafarge, qui se trouvait alors en Europe. Le P. Lafarge était connu par son livre Interracial Justice, a study of the Catholic doctrine of race relations, et réputé pour son combat contre le racisme dont les Noirs étaient victimes aux États-Unis. Dans un livre de souvenirs, le religieux a raconté son entretien avec Pie XI, qu'il dépeint comme inquiet de la progression du racisme et du nationalisme en Europe ainsi que de l'arrogance des États totalitaires. Mais, le pape lui ayant imposé le silence sur le motif de leur rencontre, encore en 1959, il s'était abstenu de révéler la commande ordonnée par Pie XI (ce livre de souvenirs a été traduit en français aux éditions Alsatia sous le titre Un Américain comme les autres).

L'ouvrage de Georges Passelecq et Bernard Suchecky comprend trois parties : la première tient du roman policier et du jeu de piste. C'est la narration détaillée de la quête des documents, le récit des difficultés et même des embûches rencontrées, le relevé des lacunes et des incertitudes qui amènent à conclure, comme le fait Emile Poulat, à une enquête inachevée sur une encyclique inaboutie.

Dans une deuxième partie, les chercheurs, après avoir présenté les trois auteurs du manuscrit (le P. Lafarge avait fait appel pour l'aider à deux autres jésuites, l'Allemand Gustav Gundlach et le Français Gustave Desbuquois), ont réuni et commenté « quelques pièces supplémentaires versées au dossier d'Hu- manis Generis Unitas », afin d'aider le lecteur à mieux comprendre l'évolution de la pensée du pape à la fin des années trente. Parmi ces textes, on peut citer notamment le décret du Saint-Office du 25 mars 1928, et la célèbre encyclique de 1937 contre le nazisme Mit brennender Sorge.

Enfin, en dernière partie — 100 pages d'un ouvrage de 310 pages — les deux historiens nous livrent l'aboutissement de leurs recherches, à savoir le texte français du projet d'encyclique Humani generis unitas.

Comment les deux chercheurs ont-ils été amenés à percer le mystère de ce projet d'encyclique ? A vrai dire, l'affaire avait déjà été révélée par une série d'articles parus aux États-Unis dans la revue National Catholic Reporter en décembre 1972 et janvier 1973. Pour la première fois, il avait été fait état de l'existence d'un manuscrit, sorte de canevas d'encyclique commandé par Pie XI ayant pour thème l'unité du genre humain en opposition au racisme et à l'antisémitisme sévissant alors en Allemagne et en Autriche annexée et en train