MICHEL-PIERRE LERNER

L'« HÉRÉSIE» HÉLIOCENTRIQUE : DU SOUPÇON À LA CONDAMNATION

Dans le courant de l'année 1540, le médecin Achilles Pirmin Gasser, de Lindau, envoyait à son collègue Georg Vögeli une certaine Narratio prima, ouvrage d'un «jeune mathématicien» paru depuis peu en Prusse, avec une lettre d'accompagnement qui commençait par les mots suivants :

Je t'envoie, très excellent homme, comme si tu étais une pierre d'Héraklée, ce petit traité qui n'est pas seulement nouveau et inconnu de nos contemporains, mais que tu trouveras aussi, si je ne me trompe tout à fait, admirable et absolument saisissant parce qu'il va à l'encontre du sens commun. C'est Georg Joachim Rheticus, maître ès- arts et ancien professeur de mathématiques à Wittenberg, un compatriote et mon meilleur ami, qui me l'a envoyé ces derniers jours de Gdansk [...]. Bien qu'il ne corresponde pas aux manières d'enseigner en usage jusqu'à maintenant et qu'il puisse être jugé contraire, par plus d'une thèse, aux théories habituelles des écoles, et hérétique (comme diraient les moines), ce livre paraît pourtant véritablement offrir le rétablissement, et même la renaissance, d'une astronomie nouvelle et tout à fait conforme à la vérité [...]'.

Ce texte de Gasser, placé par Rheticus en guise de préface à la deuxième édition de la Narratio prima parue à Bâle en 1541 - il sera reproduit une troisième fois en 1566 - contient, sauf erreur, la première mention imprimée du terme «hérétique» associé à la nouvelle astronomie que Copernic, après bien des hésitations, exposera lui- même de façon détaillée deux ans plus tard dans le De revolutioni- bus orbium coelestium.