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Contribution de Cornelius Castoriadis (philosophe, EHESS)

[compte-rendu]

Fait partie d'un numéro thématique : Mobilisations étudiantes, automne 1986
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Cornelius Castoriadis ( philosophe, EHESS) :

D'abord quelques remarques sur la manière dont j'ai vu, et la manière dont je vois le mouvement.

On a posé la question de l'autorité. Il n'y a pas de question de l'autorité ; je parle en mon nom propre, comme tout le monde parle toujours en son nom propre, et j'espère que l'on restera sur ce terrain, c'est-à-dire que chacun parle en son nom propre, ce qui veut dire en citoyen responsable dans une démocratie.

D'une façon quelque peu scolaire, je commencerai par opposer entre eux certains traits de ce que l'on a appelé le mouvement lycéen et étudiant, que je trouve antinomiques. Je regrouperai les traits que je trouve positifs, je veux dire que j'approuve, et les traits que je trouve négatifs, c'est-à-dire que je désapprouve .

- Les traits positifs : d'abord, dans mon optique et dans mes idées, lorsque les gens essaient de prendre leur sort entre leurs mains, c'est un trait éminemment positif. Les lycéens, les étudiants, se sont inquiétés du sort qui leur était réservé, de la sauce à laquelle ils allaient être mangés ; ils ont voulu réagir, et ils l'ont fait. Cela est très important, surtout, face à cette espèce de vague salade que l'on appelle le climat individualiste, et sur lequel je reviendrai tout à l'heure.

- Deuxième point, tout aussi important : c'est, on en a déjà parlé, les traits d'auto-organisation collective, l'organisation des assemblées comme aussi la grande intelligence, comme on l'avait vu déjà en 68, la grande intelligence tactique du mouvement.

C'est l'usage de la manifestation, peut-être plus astucieux encore qu'en 68, parce que non-violent, forçant les autres à être violents et par là même les déconsidérant. Je dis cela non pas parce que je considère que toute violence est à condamner, partout et toujours, mais parce que, lorsque l'on peut arriver à ses fins par des moyens non-violents, c'est préférable et cela s'avère beaucoup plus efficace.

De pair avec cette capacité d'auto-organisation va cette méfiance, du moins au départ, à l'égard des politiciens et des partis, qui a tempéré quand même, en tant que trait positif, ce que je considère comme une naïveté sidérante du mouvement, par rapport à la politique, à la fois en tant que réalité et en tant qu'idée.

- Troisième point enfin, le mouvement a été en effet un révélateur. Je n'aime pas le mot "analyseur". Un analyseur c'est tout de même quelqu'un qui a une activité d'analyse. Le mouvement a été un révélateur d'un certain nombre de choses. Il a été un révélateur de la faiblesse du gouvernement (qui n'est pas la faiblesse de ce gouvernement-là, il s'était passé exactement la même chose avec le gouvernement socialiste lors de la manifestation sur l'école privée), de son ineptie aussi. C'est un point qu'il faut souligner, parce que les gens sont fascinés par une prétendue sagesse, technicité, intelligence, etc.de ceux qui exercent le pouvoir.

A mes yeux, il a été aussi révélateur, de ce que j'appelerai "l'inconsistance des nouveaux républicains". C'est-à-dire des anciens gauchistes ou communistes reconvertis à des idéaux républicains ou démocratiques, et qui à partir du moment où le mouvement était là, se sont mis à applaudir à tout rompre sans se demander une seule seconde si, dans une république ou une démocratie il est concevable qu'une section particulière de la population impose sa volonté contre ceux qui passent pour être la représentation nationale et même contre la Constitution. Dans le langage de droite, qui a poussé des hurlements horrifiés, "c'est la rue qui fait la loi",etc.. ; mais ce n'est pas parce que la droite hurle comme ça, c'est son rôle, que je trouverai moins incohérents les "républicains" qui disent "bravo". Alors que, comme vous le savez, dans la Constitution républicaine il n'y a même pas des députés de Paris ou de la Mayence, mais des députés de la Nation.

Maintenant, du côté négatif, c'est tout d'abord le côté purement corporatiste et particulier, sectoriel du mouvement. Mais, en même temps, ce corporatisme se différencie dans un sens désagréable du corporatisme, de la grève des cheminots qui a eu lieu quelques jours après. Dans le cas des étudiants, il est désagréable pour deux raisons : d'un côté parce que l'on parlait contre l'élitisme en tournant les yeux vers l'élite, c'est-à-dire dans une espèce de schizophrénie et d'inconscience totale. On critiquait l'élitisme tout en ignorant le

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