Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe 12

L’institué et les limites du champ analytique

intervention de Jean Prochasson

Journées annuelles de la Société française de psychothérapie psychanalytique de groupe consacrées au thème «Le transfert dans le groupe». Dynamique de la relation thérapeutique. Table ronde du 6 mars 1988

Marguerite Duras, critiquant Jean-Paul Sartre, a écrit de lui qu’il était «le Soljénitsyne d’un pays sans goulag ».

Je n’ai pas l’expérience, douloureuse — comme il a été relaté ici —, d’avoir vécu dans le contexte d’une organisa¬ tion politique totalitaire de la réalité sociale. J’ai, par contre, essentiellement la connaissance et la pratique des ins¬ titutions sanitaires et sociales qui cons¬ tituent une part importante de mes ac¬ tivités professionnelles.

La question pourrait être posée ainsi : «Est-ce que, pour autant, ces institu¬ tions fonctionnant dans des régimes démocratiques, sont à l’abri des ten¬ dances ou des tentations à fonction¬ ner sur le mode totalitaire?»

Nous savons bien qu’une difficulté majeure des collectivités où sont ras¬ semblés, soignés, éduqués, voire in¬ carcérés les enfants ou les adultes dé¬ viants, est la gestion des passages à l’acte, de la violence. Cette violence apparaît lorsqu’il y a obstacle, résis¬ tance: résistance pour s’opposer au changement ou au non changement ; résistance dans la répétition des con¬ duites d’autrui ou de soi-même; vio¬ lence face aux inerties d’ordre indivi¬ duel ou sociétal. Cette violence peut s’exercer soit sur le terrain de la réalité extérieure, soit sur celui de la réalité

psychique. Pour nous, analystes, la réa¬ lité psychique a le statut de réalité au¬ tant que la réalité extérieure. La violence de la réalité psychique, nous la savons à l’œuvre dans le refoulement mais aussi dans le fantasme, dans le rêve.

La question des limites du champ analytique dans les relations instituées pourrait donc être posée comme celle des rapports entre la réalité sociale et la réalité psychique et la façon dont l’analyste va s’arranger de ce rapport dialectique dans les institutions où il travaille.

Janine Puget déplorait ce matin le comportement de certains analystes dans les institutions sociales. Je ferai l’hypothèse que la position conflictuelle dans laquelle certains analystes se met¬ tent est liée au pouvoir imaginaire qu’ils se donnent sur la totalité de l’ins¬ titution, au détriment de la responsabi¬ lité réelle qui est la leur et que je résu¬ merai en ces termes : «A quoi me sert-il d’être psychanalyste là où je suis ? » De même que la psychanalyse est im¬ puissante à guérir celui qui veut guérir le monde, de même l’analyste doit re¬ connaître les limitations à sa toute-puissance dans son désir de guérir la totalité de l’institution.

Les institutions sanitaires et sociales spécialisées ont en effet toujours un pied dans la réalité sociale et l’autre dans la réalité psychique ; disons qu’elles fonctionnent dans deux champs qui sont en interrelation, qui cohabitent, mais qui doivent être distingués :

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Il y a ce qui est de l’ordre du mani¬ feste, du réel, et qui obéit au principe de contradiction — «le mal de l’exis¬ tence, dit François Roustang, c’est le réel puisqu’il obéit au principe de con¬ tradiction» —, par rapport à la puis¬ sance psychique qui peut s’accom¬ moder du principe de non contradic¬ tion. Les relations hiérarchiques, les stratégies de communication, d’orga¬ nisation, la gestion des conflits de droit — du travail notamment —, la containte