Le savant est aussi un politique
« Ces dernières années de nombreux livres, numéros spéciaux de revues (dont L'Homme et la Société) et articles en sciences sociales ont été consacrés aux dangers que l'expertise, la recherche et le conseil en entreprise et plus généralement les commandes et la «r demande sociale » font courir aujourd'hui à ces sciences. L'évaluation ministérielle de l'efficacité, de la rentabilité et de <r l'excellence » des laboratoires de recherche, des universités et autres institutions d'enseignement semble encore renforcer ces dangers, maintes fois dénoncés.
«r Toutefois, les positions et les problématiques à partir desquelles s'effectuent les critiques de ces pratiques comportent une part d'ambiguïté, dans la mesure où elles supposent souvent implicitement que les dangers qui pèsent sur la liberté de recherche et sur la scientificité viennent avant tout de l 'extérieur : les sciences sociales elles-mêmes en auraient jusqu 'ici été plus ou moins préservées. Ce qui menacerait les sciences sociales est le fait d 'effectuer une recherche pour des dirigeants d'entreprise, de travailler pour une collectivité locale, d'être évalué sur des critères de gestion étrangers aux préoccupations scientifiques. Les pratiques internes et antérieures des scientifiques eux-mêmes ne comporteraient pas ce genre de dangers.
k Or, il nous semble que l'analyse des dangers externes, bien réels, et la résistance contre eux qu 'elle permet d'étayer, rate en partie son but et affaiblit cette résistance si elle ne prend pas également pour objet les dimensions financières, organisationnelles, politiques, idéologiques mais aussi subjectives propres aux pratiques des sciences sociales elles-mêmes. Nous proposons en quelque sorte en tant que praticiens des sciences sociales de balayer devant notre propre porte ».
Ainsi commençait l 'appel à contributions publié il y a un an dans cette revue. Le résultat qu 'on lira ci-après nous semble avoir largement répondu à cet appel. Les articles qui examinent ici l 'histoire de la sociologie en France démontrent que le lien entre cette discipline et l'Etat, les ministères et les institutions, la commande publique et les politiques publiques d'enseignement ou de recherche, sont une dimension constitutive de la science sociale dès sa naissance. Ce qui a surtout changé sur ce point, ce ne sont pas les engagements des sociologues, mais leur capacité à revendiquer ou du moins à reconnaître cette dimension dans le travail scientifique. Paradoxalement, une partie de la sociologie
L'Homme et la Société, n° 131, janvier-mars 1999
