LECTURES

Paris, INRA, 1999 («Un point sur... »).

Le vent que les écologistes et les « amis des animaux» font souffler depuis plusieurs décennies sur l'opinion publique occidentale devait siffler désagréablement aux oreilles de l'INRA pour que cet organisme de recherche appliquée à l'agriculture en vienne à se poser la question du «bien-être» des animaux de rente. En 1994, une première publication, Comportement et adaptation des animaux domestiques aux contraintes de l'élevage, sous la direction de M. Picard, R.-H. Porter et J.-P. Signoret, avait fait le point sur les bases techniques du bien-être animal, notamment dans le domaine du lien parental et de l'adaptation des jeunes, de la sociabilité, de la reproduction et du transport des animaux. Le ton de ce bilan était à l'humilité et à la circonspection. En effet, à moins d'une improbable révolution technique, on imagine difficilement des systèmes futurs qui réussiraient à n'imposer aucune contrainte aux animaux. C'est donc dans les cas où l'intérêt des exploitants rejoint celui des animaux qu'il est le moins illusoire d'attendre une amélioration de la situation de ces derniers. En outre, faute de parvenir à cerner avec toute la précision souhaitable les conditions idéales du bien-être animal, il apparaît aujourd'hui plus efficace d'agir sur les animaux (par la sélection de sujets plus résistants aux contraintes de l'élevage) que sur les conditions d'élevage elles-mêmes.

Le réalisme de ses chercheurs n'a cependant pas dissuadé l'INRA de continuer à se préoccuper du bien-être animal - du BEA, écrivent déjà certains, le sigle témoignant de la légitimité

administrative acquise par le concept. Toujours est-il que le livre qui paraît aujourd'hui, actes d'une table ronde tenue en octobre 1995, marque une nouvelle étape, dans la mesure où, aux approches des zootechniciens et des économistes, sont associées les contributions de philosophes, de juristes, de sociologues et d'ethnologues, conduisant à un ensemble dont on se demande quelle caractéristique - richesse ou disparité - il convient de retenir.

Ainsi, à l'anthropocentrisme, le philosophe J.-Y. Goffi oppose le pathocentrisme, éthique centrée sur la reconnaissance de la souffrance animale. F. Burgat propose, quant à elle, d'en finir avec ce qu'elle appelle le «postulat d'une différence métaphysique entre l'homme et l'animal» (p. 27), au profit d'un autre postulat, celui d'une absence de différence, qui justifie de «se préoccuper du bien-être animal pour des raisons qui ne seraient pas directement liées à la productivité» (p. 32). Pour ce qui est des droits de l'animal, et tout en repoussant l'idée de parallèle avec les droits de l'homme, G. Chapouthier penche pour faire des animaux des sujets de droit, ce que J.-F. Six conteste fermement; pour lui, seul l'homme a cette capacité, d'où les devoirs qui lui incombent vis-à-vis des bêtes. Ceux-ci sont d'ailleurs largement inscrits dans les lois et règlements français et européens, ainsi qu'en témoigne le panorama juridique documenté que trace A. Fabre.

Viennent ensuite plusieurs études qui prolongent et complètent la publication de 1994. D.Vermersch et P. Rainelli montrent que la prise en compte du BEA entraîne une élévation des coûts de production, laquelle n'est pas toujours compensée par une meilleure image des

Études rurales, janvier-décembre 1998, 147-148 : 153-164