Couverture fascicule

Enseigner la littérature française en Belgique francophone 1841-2009. Anthologie historique et commentée. Françoise Chatelain (2014)

[compte-rendu]

Année 2015 57 pp. 72-73
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NOTES DE LECTURE

ENSEIGNER LA LITTÉRATURE FRANÇAISE EN BELGIQUE FRANCOPHONE -1841-2009 -ANTHOLOGIE HISTORIQUE ET COMMENTÉE Françoise CHATELAIN Bruxelles, Éditions Samsa (2014)

Certains savoirs, certains savoir-faire, certains savoir-être, certaines valeurs et certaines compétences (impliquant tout ce qui précède) relatifs à la littérature font incontestablement partie des contenus de la discipline «français ». En tant qu'objets d'enseignement et d'apprentissage, ils n'ont pas manqué d'intéresser les didacticiens de cette discipline et une importante partie d'entre eux ont consacré la plupart de leurs recherches à ces objets-là, en accordant plus ou moins d'attention à leurs relations avec les autres contenus disciplinaires. Souvent moins que plus, d'ailleurs. À l'instar de certains praticiens eux-mêmes, dirais-je volontiers. À l'instar d'un grand nombre de professeurs du secondaire supérieur exerçant dans l'enseignement général en tout cas, qui se conçoivent volontiers davantage comme professeurs «de lettres », que comme professeurs de français. La représen¬ tation unitariste ou pluraliste de la disci¬ pline — l'alternative enseignement-apprentissage des discours vs enseignement-apprentissage de la langue et de la littérature — est lourde de conséquences : évoquer ces dernières m' écarterait fort loin de mon projet de compte rendu, mais la lecture du livre de Françoise Châtelain, qui contextualise l'enseignement de la littérature, m'y a souvent fait songer.

De quoi s'agit-il ? Le titre et le sous-titre annoncent clairement que l'auteure a rassemblé, qu'elle a classé chronologiquement au fil d'un siècle et demi, et qu'elle a commenté les documents relatifs à l'enseignement de la littérature française en Belgique francophone les plus dignes, à son estime, de susciter l'intérêt... des didacticiens, bien entendu.

Le résultat de la recherche est effectivement fort intéressant pour ceux d'entre nous qui s'attachent à l'histoire des contenus d'enseignement dans une institution scolaire. Ceux de jadis, ceux de naguère et ceux d'aujourd'hui même, dont l'étude des avatars dans les pratiques de classe gagnerait à s'assortir toujours d'une recherche sur la «conscience disciplinaire » des enseignants. Ou, plus précisément, d'une recherche sur leurs représentations des objets qu'il leur est prescrit d'enseigner, et des buts de l'enseignement en question qui, eux, ne leur sont pas toujours explicitement assignés.

Françoise Châtelain s'est attachée à collecter des documents hétérogènes qui donnent à connaitre, partiellement bien sûr, mais époque par époque, la conjoncture didactique, c'est-à-dire cet état relativement durable et relativement stable des affaires économiques, sociales, politiques et (surtout) culturelles qui préside à la définition du rôle de l'École, et dans lequel s'inscrit toute situation didactique. Au fil des cinq périodes que l'auteure distingue, justifications à l'appui, voisinent ainsi des instructions officielles, des prises de position tantôt consensuelles tantôt contradictoires sur les innovations par des personnes ayant joui ou jouissant d'une certaine notoriété dans le microcosme de l'enseignement du français, et des fragments d' œuvres fictionnelles où, à propos de cet enseignement, se manifestent les éphémères mentalités des élèves et des professeurs.

Les documents rassemblés par Françoise Châtelain, les notices qu'elle a fournies à propos des auteurs, les brèves introductions et les amples conclusions qu'elle a rédigées pour chacune des périodes susdites avivent cette évidence... aveuglante comme tant d'autres : les pratiques d'enseignement de la littérature et les représentations des enseignants dont procèdent ces pratiques sont des effets de discours. Des effets de discours

injonctifs ou persuasifs, consonants ou dissonants, plus ou moins communément reçus, plus ou moins attentivement lus, plus ou moins fidèlement relayés au sein d'un réseau professionnel où le pouvoir hiérar¬ chique détenu par certaines personnes et l'autorité didactique reconnue à d'autres se confortent ou se combattent. Ce qui «va de soi » pour bien des maitres vient toujours d'ailleurs. Leurs routines sont des sédiments de «dire de faire » dont les plus anciennes couches remontent à des temps où, à l'institution scolaire, étaient dévolues des missions assez différentes de celles qui lui sont aujourd'hui assignées parce que la conjoncture didactique a changé.

Au fil de mon parcours, j'ai songé à Foucault, à son travail sur l'archive et à sa conception «capillaire » du pouvoir — comme du savoir sur lequel ce dernier s'appuie. L'anthologie de Françoise Châtelain donne à penser cette capillarité, complexifiée sans aucun doute, en Belgique, par la coexistence de plusieurs pouvoirs organisateurs de l'enseignement, par la concurrence qu'ils se font, par les colla¬ borations qui s'instaurent en dépit de cette concurrence, par les divergences de vues sur les contenus et les pratiques de l'enseignement de la littérature des diffuseurs d'opinion les plus influents qui pourtant collaborent, etc. La lecture du livre donne envie de poursuivre l'entreprise et d'entreprendre des recherches relevant de la socio-didactique, au risque de ruiner certains consensus de façade en mettant au jour les conflits d'intérêt structurels et les rivalités qu'ils suscitent, les alliances et les ruptures stratégiques, les affinités et les inimitiés personnelles qui agitent le champ scientifique.

Il n'est pas étonnant (pour un didacticien de Belgique francophone) que l'ouvrage fasse une place importante à la controverse sur l'enseignement de la littérature belge (de langue française, comme ne le précisent plus les études récentes qui lui sont consacrées). Le choix est

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