Couverture collection

André-Jean Pétroff, Saussure : la langue, l’ordre et le désordre, Préface de Rudolf Engler, Paris, L’Harmattan, coll. « Sémantiques », 2007

[compte-rendu]

Alberto Manco
Année 2010 124 pp. 58-59
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L’ouvrage est à sa manière une nouveauté dans le panorama des études consacrées à Saussure. Dans la préface, Engler souligne que le Cours de linguistique générale constituait en 1916 la meilleure réflexion que l’on pouvait obtenir à l’époque ; et que celle-ci ne pouvait évidemment tenir compte des développements que la science du langage était en passe d’accomplir. Pétroff développe soigneusement le sens de cette observation. Son introduction rappelle que, selon R. Jakobson, Saussure était resté dans la veine néogrammairienne. Lui va plus loin en avançant que Ferdinand de Saussure n’est pas un structuraliste.

Le chapitre I retrace les considérations de Saussure sur la question du Temps telles qu’elles apparaissent dans l’édition du Cours d’Engler. Sa position rejoint celle de Prigogine : un événement accidentel peut être à l’origine d’un nouvel ordre systématique. Pourtant, la linguistique continue de considérer le temps comme figé dans un tableau, en quelque sorte, alors que cette nouvelle façon de le concevoir est devenue une question cruciale dans la plupart des sciences. La formulation des interprètes rencontre sur ce plan quelques résistances : Saussure pense que…,

Saussure dit que…, mais on se demande souvent sur quels textes ils se fondent. On sait par ailleurs qu’entre le Cours 1 et le Cours 2 s’établit une fracture épistémologique relative à la définition de la langue comme un système de valeurs. Or ce passage, comme d’autres, ne trouve pas d’écho dans le Cours de linguistique générale, lequel continue à définir la langue comme un système de signes. Dans le long chapitre II, il est fait état que la langue n’est pas une substance, mais un objet. Elle est un phénomène, et comme tel dépend du point de vue du sujet parlant à une certaine époque : l’objet est créé par le point de vue. La formule saussurienne, selon laquelle la langue est une forme et non pas une substance – formule qui a énormément influencé la linguistique européenne – n’est pas de Saussure. La question est d’ordre épistémologique : dans le cas du Saussure analysé par L. Hiemslev, par exemple, le lecteur attribue en effet au premier les analyses du second. Il est question ensuite, dans ce chapitre, du thème de la dualité. La dualité n’est pas une notion simple, mais une notion complexe. Les éléments qui la constituent sont hétérogènes, et privilégier l’un, c’est pénaliser l’autre. Cependant, le structuralisme fait l’erreur de transformer la dualité en dichotomie, un terme qui n’apparaît jamais chez Saussure, bien que l’on en ait rapidement fait un dichotomiste.

Le chapitre III rapporte l’exemple produit par Trubetzkoy en 1933, et la

querelle de la téléologie : si la langue est un système où tout se tient, alors le tout doit tendre vers un but. C’est à une tout autre conclusion qu’arrivait la physique, laquelle démontrait que le désordre était ce vers quoi tendait toute organisation, toute transformation. Il y a pourtant toujours ceux qui voient en Saussure le chercheur de l’ordre, plutôt qu’un Saussure qui affirme en réalité le primat du désordre, du Temps qui crée rupture, irréversibilité entre un état et un autre. Pétroff montre enfin comment une telle conception de l’évolution a en définitive de nombreux points en commun avec celle de Darwin. Même si ce dernier n’a jamais été cité par Saussure, il n’en demeure pas moins qu’il ne pouvait en ignorer l’enseignement. Pétroff, souligne d’ailleurs à ce propos, que Saussure a lui aussi placé l’acte individuel au centre de la linguistique : Pour Saussure et pour Darwin, tout part de l’individu.

Le chapitre IV rappelle que chaque fois que Saussure parle de la langue,

il le fait pour la distinguer de la notion de langues. La langue se distingue des langues par le fait qu’elle est un système de valeurs. À ce propos, Pétroff signale une rupture entre le Cours I et le Cours II. Dans ce dernier, la distinction entre la diachronie et la synchronie s’établit désormais selon des différences de valeurs et non plus seulement en fonction du temps. Dans le Cours I, et dans les notes autographes, Saussure ne parle que de la valeur d’une unité par rapport à une autre et non pas d’un système de valeurs. Plus tard, il dira que toutes les langues sont des systèmes de valeurs, idée à laquelle doivent être ajoutés l’arbitraire du signe (premier principe ou vérité primaire) et la linéarité du signe (second principe ou seconde vérité primaire). Cependant, si le structuralisme refusait le hasard, il ne pouvait accueillir l’arbitraire. Ne parlons donc jamais de hasard ni de signes arbitraires disait Jakobson. Pétroff passe ensuite à la notion d’événement, qu’il faut selon lui redéfinir en linguistique. Ce qui caractérise un événement, c’est le fait qu’il introduit l’irréversibilité dans l’évolution : on ne remonte pas le cours du temps. Est abordé par ailleurs le problème de la méthode à suivre pour étudier un système de valeurs, et cela s’impose, souligne-t-il, car toute la fin du Cours III contredit la démarche retenue par les Éditeurs. Leur méthode réside dans la définition d’un élément primaire, le signe. Cette approche est gênante : elle présuppose un objet donné a priori, qui possède une valeur en soi. Or toute la linguistique saussurienne se développe selon un parcours inverse : avant tout on est en présence d’une valeur, laquelle se manifestera dans un objet. Du reste, Saussure n’a jamais à proprement parler proposé une véritable théorie du signe. Le cheminement de sa pensée, comme le montrent les sources manuscrites, est, sur ce point en particulier, bien différent de l’enseignement contenu dans le Cours de linguistique générale. Il n’impose pas une définition du signe comme concept primitif,

mais plutôt comme point d’arrivée d’une longue analyse scientifique. La

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