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Elections

[article]

Année 1973 5 p. 23
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ELECTIONS

Plus les femmes luttent, plus elles subissent de manœuvres de séduction de la part des politiciens de tout bord. Cette fois-ci, les partis ont pris conscience de la force politique qu’est l’électorat féminin ; et nous nous heurtons à l’agression d'une publicité permanente qui ne fait que redoubler et légitimer l'exploitation habituelle des femmes par lés mass-media.

fr -cette situation, nous n’avons pas de consigne de voie à opposer. Quand nous nous sommes réunies pour parler des élections, des contradictions se sont manifestées : certaines pensent que l’alterna¬ tive électorale entraînerait dans leur vie des chan¬ gements réels (augmentation des allocations fami¬ liales, égalité de salaire et d’emploi, etc.). D'autres trouvent dur de ne pas utiliser un des rares pou¬ voirs que nous reconnaît la loi, pouvoir que les femmes ont conquis par leur lutte. D'autres, qui refusent l’échéance électorale et le jeu institution¬ nel, éprouvent quand même le besoin de signifier quelque part leur refus (faisant faire leur carte d’électrice pour que leur abstention soit au moins enregistrée). Et celles à qui l’abstention paraît la seule politique cohérente avec leur pratique dans le mouvement cherchent cependant à se démarquer de la «tradition » gauchiste du refus de vote, en exprimant par texte et affiches notre rapport spéci¬ fique de femmes à la politique institutionnelle.

Mais toutes nous disons que les élections ne sont pas le terrain de notre lutte, que le vote est dans tous les cas une exploitation de notre parole, une récupération du mouvement.

Il ne s’agit donc pas de l’affrontement dans le mou¬ vement de positons antagonistes sur le vote : toutes ces contradictions sont en chacune de nous, et jouent différememnt selon notre situation à chacune (travail, enfants, situation affective). Nous avons découvert en parlant que telle position que nous justifions à force d’arguments et de pronostics exprime souvent notre dépendance vis-à-vis d'une autorité masculine.jC’est pourquoi, si nous refusons de nous livrer au jeu des paris électoraux, nous ne voulons pas non plus donner de mot d'ordre : nous lié pouvons pas immédiatement résoudre nos con¬ tradictions pour adopter une position monolithique Ce serait une façon de nous diviser (les femmes qui suivent la consigne, celles qui ne la suivent pas), et c’est précisément là l’objectif du vote. Emportant pour nous est que chacune se formule quel est, dans son «comportement électoral », l’in¬ térêt de femme qu'elle met en jeu. Ainsi le prochain vote-devient l’occasion de faire apparaître les luttes réelles que /TOUS" mener

collectivement, et non la mystification électorale. C’est peut-être parce que nous en avons assez de ces luttes «souterraines » que nous avons tellement envie parfois de participer à une opération où l'on «s'exprime » au niveau national.

Vous avons aussi ressenti l’urgence, à un moment où l’on veut «programmer » notre destin de femme-eu-foyer, de rejeter la culpabilité que partout l’on 'ait peser sur nous quand nous ne nous intéressons cas à la politique institutionnelle. Seule la lutte —

7 otre lutte — nous intéresse.

Quand nous votons, comment nous détermi¬ nons-nous ?

1. Nous votons comme lui (nous suivons le journal, lé mari, le gouvernement, le syndicat, le parti, le oère). Nous abandonnons aux hommes la «respon¬ sabilité » du choix parce que nous nous sentons coupables de ne pas nous intéresser à une politique dont nous sommes en fait exclues (exclusion phy¬ sique, et exclusion de nos intérêts de femmes). Oans sa conférence de presse, le 11 janvier, Pom¬ pidou se refuse à mêler les «problèmes spécifique¬ ment féminins » (maternité, contrôle des naissances) sux «querelles électorales ». Les hommes nous disent que la politique est une chose «sale », que ibus ne devons pas y risquer notre pureté... Ils ne lous disent jamais que de toute façon cette poli-ique n’intéresse pas les femmes parce que ce n’est Pas la leur. Et de l’autorité qu’ils gardent ainsi sur poire vote ils retirent un supplément de pouvoir, fans la cellule familiale comme à tous les niveaux des institutions et de la société.

I Nous votons contre lui (nous nous opposons au ournal, au mari, au gouvernement... à notre père).

est une façon de nous révolter contre notre oppression politique, mais qui permet une nouvelle utilisation de notre vote. Car dans ce second cas, lous agissons toujours en fonction de..., pas à par-jr de notre intérêt de femme.

Si nous repérons cette oppression politique, cela ieut dire que le vote — noir ou blanc — nous ■‘xploite toujours d’une certaine façon. En votant, °n étant candidates, en travaillant à la campagne électorale d’un parti, nous renonçons à notre capa¬ cité de lutte pour reconnaître à des députés (hom¬ mes ou femmes, le mot est toujours masculin) un düvoir sur notre vie, sur nos corps. Nous recon-istjssons la loi, nous déléguons notre pouvoir à État, nous .devenons complices de l’institution, de oppression et de l’exploitation des femmes. En onnant leurs voix, les femmes se donnent.

� Et quand nous ne votons pas ? ln nous fait croire que notre abstention a la même Unification que celle dés hommes. Ou bien, si l’on

admet que le refus de vote des femmes signifie autre chose (parce qu’il est plus massif), on en déduit notre défaut de «conscience politique », de «sens des responsabilités sociales ». Les media multiplient les enquêtes auprès de nous pour véri¬ fier que << les femmes ne sont pas politisées ». On nous renvoie par là à notre impuissance ; on nous fait croire que le vote est un pouvoir (alors que parler et agir ensemble n’en est pas un), que notre lutte réelle n’est pas politique. On nous empêche de critiquer la définition que le système a donné de la politique, et que les hommes ont largement reprise. On nous fait croire à de fausses alterna¬ tives, alors qu’à droite comme à gauche on nous propose le réformisme, l’oppression maintenue par d’autres moyens. Des femmes disent : «La poli¬ tique, c’est l’affaire des hommes », «C’est un sport entre eux. » C’est parfois notre soumission que nous exprimons ainsi, mais cela veut dire en même temps : laissons-les jouer, l’enjeu n’existe pas, et menons notre lutte de tous les jours ; ne nous lais¬ sons pas diviser dans cette compétition truquée.

I Car le vote est une tentative pour nous diviser, pour nous opposer selon les opinions et les intérêts de nos maris, de leurs partis, en nous empêchant de nous réunir sur notre lutte de femmes. De plus, le jeu électoral sépare celles d’entre nous qui ont le «privilège » du vote de celles qui n’y ont pas droit (les mineures, les femmes immigrées)] Ce sont elles que nous rejetons hors de la lutte dès qu’elle se déroule au plan institutionnel.

C’est pourquoi aujourd’hui nous remettons en ques¬ tion la conquête des suffragettes. Leur mouvement nous paraît avoir exprimé une lutte des femmes beaucoup plus . radicale ; le vote qu’on leur a accordé n’a été qu’une façon de désamorcer une lutte dangereuse en la récupérant et la cantonnant