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Christian Thuderoz, Qu’est-ce que négocier ? Sociologie du compromis et de l’action réciproque, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010

[compte-rendu]

Année 2011 46 pp. 193-194
Fait partie d'un numéro thématique : Extrémisme et violence
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193 Recensions

Christian THUDEROZ

Qu’est-ce que négocier ? Sociologie du compromis et de l’action réciproque

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 358 p.

Christian Thuderoz, professeur de sociologie à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon, livre un nouvel opus consacré à la réflexion sur la négociation. Il en est un spécialiste reconnu, tant par de précédentes publications1 que par la fondation de la revue Négociations,

qu’il a dirigée jusque récemment. Le présent ouvrage, accueilli dans la collection Le sens social des Presses universitaires de Rennes, s’attache à un questionnement de la définition de la négociation dans son originalité et comme mode de décision. Il associe une analyse théorique élaborée avec des mises en situations, des exemples divers et des matériaux eux-aussi différents, y compris des textes littéraires (la mythologie antique, les grands romans du XIXe siècle, etc.) mobilisés à bon escient pour illustrer un propos à visée large. Plus précisément, à travers ce qu’il nomme des «études » , l’auteur prend le parti – assumé – de privilégier sept focales2, parmi d’autres possibles ; il ne s’agit donc pas, par exemple, d’une relecture du conflit ou de l’interculturalité dans le domaine du négocié. Il n’est pas possible de restituer ici l’ensemble des propositions de Chr. Thuderoz au fil de plus de 350 pages denses, et nous ferons à notre tour des choix dans ce qui est apparu ressortir. Le point de départ du questionnement de Chr. Thuderoz tient au flou de la notion de négociation (et c’est vrai aussi de notions parfois associées, comme la concertation), qui désigne un mécanisme, une activité, des processus, etc., dont on peut interroger à la fois la moralité, la justice, l’efficacité et l’économie. Pour qu’il y ait négociation, il faut, selon l’auteur, une confrontation (ce qui est consubstantiel à la démocratie, au demeurant3), une intention, une activité conjointe et des interdépendances (p. 19-21). De la sorte, l’ouvrage débute par une qualification de la négociation, où l’auteur tire un certain nombre de leçons : l’interaction négociée est générative, au sens où elle produit des situations sociales nouvelles ; la zone de négociation est l’objet premier d’une négociation (c’est-à-dire l’établissement du négociable / non-négociable) ; la négociation est un mode de coordination d’acteurs où les individus définissent eux-mêmes le cours de l’action. Plus avant dans la démonstration, ce sont les arguments en faveur du négocié plutôt que de l’imposé qui sont analysés : coût du recours à la force (qui est un coût de transaction, au sens de l’économie institutionnelle), dimension toujours fluctuante des rapports de force, construction du jeu social sur la longue durée et rareté des biens et des ressources. L’appel à des références classiques, comme la sociologie des organisations de Michel Crozier et Erhard Friedberg ou Les règles du jeu

de Jean-Daniel Reynaud4, revisitées dans leurs apports aux enjeux de la négociation, vient compléter ce premier tour d’horizon, clair et documenté. La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse aux régimes et aux registres de négociation, en distinguant notamment entre négociation de marchandage, négociation de régulation et négociation valorielle, introduisant ainsi à la discussion des analyses d’Olgierd Kuty et ses limites5 (ce qui est prolongé plus loin, p. 331 sq.).

La «double transaction identitaire » développée par Claude Dubar6 est cependant absente du propos de Chr. Thuderoz ; elle pourrait être mise en regard de la théorisation d’O. Kuty7. Un troisième développement est consacré à la notion de compromis et les controverses couramment associées – il serait «impur » … Après avoir précisé que toute négociation n’aboutit pas à un compromis8, l’auteur propose d’y voir non pas une moyenne mais la forme d’une régulation conjointe (p. 139). S’appuyant sur Boltanski et Thévenot9, il analyse le compromis comme une Cité provisoire et transitoire (p. 169). La quatrième étude, «Décider, abandonner, reconnaître » , souligne notamment que l’échange négocié n’est en rien synonyme de symétrie des pouvoirs, et introduit pertinemment une discussion sur les rapports entre négociation et reconnaissance, ou «découverte d’autrui » (p. 295). Ceci renvoie à un prolongement possible pour le lecteur, qui est aussi une impasse dans l’appareil de références, conséquent, de Chr. Thuderoz : la sociologie des transactions sociales propose, elle aussi, d’aborder les processus d’élaboration de «compromis pratiques » 10 ou, dans une acception québécoise plus récente, d’ «accommodements raisonnables » 11, dans les situations concrètes (voire quotidiennes) où le conflit ne peut être simplement lu comme un affrontement et correspond à des modes de «coopération conflictuelle » , suivant le couple de l’autonomie et des interdépendances12. On pourrait ici se demander si la transaction sociale ne va pas plus loin que la négociation, non seulement en appréhendant l’autre comme partie à la relation (conflit, échange, etc.), mais en le reconnaissant dans sa différence et son altérité ; le débat pourrait être ouvert. Un cinquième volet de l’ouvrage focalise sur la «négociation intime » (souvent oubliée des définitions les plus usuelles, rattachées à la diplomatie ou aux échanges commerciaux), négociation avec soi qui est vue comme triple : entre le je et le moi social, entre les diverses expressions du «je » , et entre ce je et les attentes contradictoires émanant des autres soi (p. 223). La «transgression négociée des règles » est abordée dans une sixième partie : la transgression a pour objectif de créer les conditions d’une nouvelle régulation sociale, par une dénonciation, une application partielle ou une négociation en totalité (p. 268-269) ; elle est aussi potentiellement une condition d’efficacité et de validité de la règle (p. 274-276, en revenant sur le «jeu avec la règle » développé par Pierre Bourdieu13, mais aussi, de fait, sur la notion de transaction). Enfin, une dernière partie intitulée «Pour une rationalisation morale de l’activité de négociation » montre en quoi toute négociation est simultanément négociation de règles et négociation de leur fondement normatif, qu’un compromis marchand a toujours une dimension valorielle, que la hiérarchisation de ces valeurs est difficile voire impossible, et que les motifs d’action empruntent à la fois à l’utilité et à la morale (p. 335-336). De quoi, en somme, stimuler des réflexions pour des chercheurs en sciences sociales, qui, dans bien des domaines, sont amenés à aborder ce mode de décision. Des «passages de valeurs » 14 s’opèrent, au sein de ce que nous avons nommé des espaces-frontières, qui permettent de combiner d’autres approches encore à la négociation étudiée par Chr. Thuderoz – que ce soit la conceptualisation du passa

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