Couverture fascicule

W.-A. Mozart et E. Schikaneder, Une Flûte Enchantée, 2010

[compte-rendu]

Année 2011 177 pp. 140-142
Fait partie d'un numéro thématique : Pour éthique de la médiation culturelle ?
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Raison Présente

Musique

Pierre Zimmer

«Etre académique avec les œuvres me semble contraire à la nature même de l'art mozartien ». Ainsi s'exprime Peter Brook dans le programme du Théâtre des Bouffes du Nord consacré à Une Flûte Enchantée. Au moment de quitter des lieux auxquels il a redonné le lustre dont ils avaient, entre le rouge décati de leurs murs et la grisaille de leurs moulures, perdu jusqu'au souve¬ nir, le maître des lieux est revenu à ce qui avait fait le succès de sa Tragédie de Carmen créée en 1981 : livret et musique avaient été réécrits et la scène débarrassée de tout ce qu'exigeait de spectaculaire une production lyrique du 19ème siècle, afin d' exacerber l'infer¬ nale mécanique de l'amour, de la jalou¬ sie et de la mort. Et c'est donc pour, une fois encore, faire la nique à cet acadé¬ misme qu'il abhorre, que Brook s'est tourné vers cette forme qui, à ses yeux, le concentre tout entier dans ses pires conventions et lourdeurs : l'opéra. Cette Flûte enchantée que Bergman avait filmée en 1975 avec une caméra gourmande allant de la salle à la scène et jusque dans les cou¬ lisses, assumant ainsi la représenta¬ tion dans sa totalité, Brook a voulu la débarrasser de ce «poids » et de cette «solennité », en un mot, de cette pompe qui creuse un fossé entre le public et l'œuvre.

Fidèle à ce théâtre de la proximité qu'il revendique, le patron des Bouffes du Nord s'est d'abord attelé avec Franck Krawczyk et Marie-Hélène Estienne à la réécriture du livret de Schi-kaneder afin d'en fournir une version allégée qui tînt en un peu plus d'une

heure et demie (au lieu des trois habi¬ tuelles) et proposât une trame plus lisi¬ ble, recentrée sur les personnages prin¬ cipaux. Exeunt donc les Trois Garçons, les Trois Dames et tout ce qui, prêtres, esclaves ou suite, pouvait constituer un chœur. De la sorte est, certes, conservé le fil de l'intrigue, à savoir la réalisation du couple Pamina et Tamino vers quoi tend effectivement toute l'œuvre. Mais beaucoup a été perdu en chemin, voire l'essentiel. Car abandonner comme au détour d'un bois les Trois Garçons, c'est priver l'œuvre de sa féerie et de ce que la musique de Mozart a peut-être de plus sublime ; car donner leur congé aux Trois Dames comme à d'embarras¬ santes commères, c'est lui enlever un ressort dramatique et deux magnifiques quintettes ; car rayer les chœurs comme pure convention opératique, ce que pré¬ cisément ici ils ne sont pas (à la diffé¬ rence, par exemple, de ce qui se passe dans Cosi fan tutte) , c'est l'amputer non seulement de sa solennelle gran¬ deur mais aussi de ce message des Lumières qui, qu'on le veuille ou non, tenait à cœur au librettiste et au com¬ positeur. En un mot, faire fi de tout cela, c'est renoncer à ce qui fait la réussite absolue de La Flûte enchantée : la fusion de la verve populaire et de l'ex¬ pression la plus élevée, de la machine à merveilles et de l'idéal le plus noble. Avec ce que cela comporte de scories susceptibles de heurter un esprit démo¬ cratique contemporain : on trouve des esclaves au royaume du despote éclairé Sarastro et toute la symbolique maçon¬ nique du monde n'arrive pas à faire passer les propos franchement misogy¬ nes du livret. C'est que La Flûte enchan¬ tée appartient aussi à un moment de l'histoire, ce que, au demeurant, les nouveaux librettistes ont eu du mal à accepter. En effet si l'on dialogue en français, l'on chante en allemand (on aurait pu d'ailleurs imaginer qu'on le fît aussi en français pour éviter l'incon¬ gruité de la combinaison des deux lan¬ gues et aller au bout de l'exigence de

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