LECTURES
Paris, CNRS Éditions, 1999.
La littérature historique sur la draperie médiévale est ancienne, abondante, et de haute qualité. Des travaux des ancêtres, Augustin Thierry et Félix Bourquelot, aux contributions récentes d' Alessandro Stella et Franco Frances- chi, en passant par les monuments érigés par Pirenne et Espinas, Coornaert, Melis, Carus- Wilson, Endrei, Munro ou Hoshino, on ne saurait dire que le secteur ait été délaissé depuis le début de ce siècle. Dans cette série prestigieuse, l'ouvrage de Dominique Cardon est plus qu'une contribution parmi d'autres : par l'ampleur de son information, la sûreté de ses analyses et la richesse de ses hypothèses, il renouvelle complètement notre savoir sur le sujet. L'originalité et la force de son livre sont fondés sur une connaissance intime de l'acte de production, à laquelle s'ajoute une parfaite maîtrise des sources et de la bibliographie. L'extraordinaire source d'information constituée par les statuts de métiers des régions méditerranéennes, si riches en notations techniques, y est abondamment mise à profit, donnant à l'ouvrage une base documentaire extrêmement solide. Servie par l'intelligence scientifique d'un éditeur auquel il convient de rendre grâce (une fois n'est pas coutume), D. Cardon a pu joindre à son texte un corpus iconographique pratiquement exhaustif (vitraux et miniatures étant systématiquement reproduits en couleurs) qui fait de l'ensemble une référence pour tous les historiens du Moyen Âge. L'alternance des commentaires et des documents archéologiques ou iconographiques auxquels s'ajoutent, le cas échéant, les informations tirées de la littérature
technologique des xvne et xvme siècles (Roland de La Platière et Duhamel du Monceau en particulier) permet de suivre un texte dense et parfois difficile qui n'esquive aucun des obstacles rencontrés, tant dans la construction des hypothèses que dans leur exposition.
La draperie, industrie médiévale, n'y est donc pas présentée de l'extérieur comme l'un des éléments qui composent le paysage économique et social du monde médiéval, mais de l'intérieur comme un processus continu de production, d'innovation et de diffusion, dont la cohérence réside d'abord dans les éléments techniques. L'hypothèse générale du livre est celle d'une originalité essentielle de la draperie médiévale dans le panorama de l'histoire textile du vieux continent, séparant complètement le drap des autres étoffes de laine de mouton produites ailleurs ou auparavant. À l'origine de l'histoire, un transfert de technologie grâce auquel on a adapté au tissage de la laine le métier horizontal à marche, inventé peut-être dans le monde indo-iranien pour le travail du coton. Sa présence est assurée en diverses régions de l'Europe méditerranéenne et du Nord (Baltique et îles britanniques) à partir des dernières années du Xe siècle et sa diffusion s'étend à l'ensemble du monde occidental au cours du XIIe siècle. Comme toutes les grandes innovations, il s'impose par sa souplesse et sa capacité d'adaptation aux matières premières, aux exigences du marché et aux demandes des usagers. Sa généralisation permet de pousser toujours plus loin la spécialisation des produits, favorisant la constitution, dès le milieu du xne siècle, d'un marché international complexe, demandeur de marchandises variées, des étoffes teintes de grand luxe, vendues jusqu'en Orient,
Études rurales, juillet-décembre 1999, 151-152 : 271-276
