BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE

Charles de Visscher. — Théories et réalités en droit international public

2e éd. Paris, Pedone, 1955, 450 pages.

Tout juriste a la légitime prétention d'être un homme de science; mais il est souvent aussi un artiste qui s'ignore. Partant de l'observation des faits de la vie sociale, celle-ci est trop complexe pour que l'explication et l'interprétation qu'il en donne, pour que la formule des cas qui les régissent ne soient pas fonction de ses tendances, de ses goûts, de son tempérament intellectuel; la logique juridique elle-même l'entraîne par la force des choses à des constructions synthétiques qui risquent d'être l'expression de la personnalité et de l'art de leur auteur plus que la traduction des réalités elles- mêmes. À quelle rude discipline le juriste ne doit-il pas se plier pour résister à cette redoutable tentation!

Le très beau livre de M. Ch. de Visscher est en son entier une mise en garde contre elle et un exemple, une méthode pour ne pas y succomber. Il ne s'agit en effet — le titre l'indique assez — ni d'un manuel, ni encore moins d'un traité de Droit international, mais d'un examen de conscience scientifique. Confronter avec les réalités sociales telles qu'elles sont, fussent- elles décevantes, les principales théories émises par de nombreux juristes, tel est d'abord le but de l'auteur. Il s'agira ensuite de «passer au crible d'une critique plus largement informée les règles et les pratiques du droit international appréhendées dans le vif de leur application » (p. 449);

En effet, d'après lui, l'écart existe souvent aujourd'hui entre « le précepte et la pratique » . Les principales doctrines actuelles, aussi bien celles qui se rattachent au droit objectif et au système kelsénien, que celles du positivisme juridique, ont le tort de ne pas tenir compte des réalités, de se placer dans l'abstrait. En coupant trop souvent les institutions juridiques de leurs deux sources, l'inspiration morale qui les élève au-dessus de leur expression positive et l'observation exacte qui les maintient au contact de la vie, elles aboutissent à « dévitaliser » le droit. Le devoir du juriste contemporain doit être donc de rechercher les réalités sociales qui sont à l'origine des règles et fixent leur portée. Il faut, pour le comprendre, situer le droit international dans son milieu. Or ce dernier est celui de la Société