Les espaces du sauvage dans le monde antique, 2004, 223-234
Le sauvage dans le De Reditu de Rutilius Namatianus : un non-lieu
Joëlle Soler*
( /£/ a veine latine du poème de voyage à la première personne, dans J laquelle s'inscrivent Ylter Siciliense de Lucilius1, l'Iter ?*—*/ Brundisinum d'Horace2, l'Irer Gallicum de Rutilius Namatianus, ou le De nauigio suo de Venance Fortunat3, comporte essentiellement des textes parlant d'un voyage de circonstance, officiel ou quasi officiel. Loin de découvrir des horizons nouveaux, ces poèmes cherchent plutôt à décrire, à publier, parfois de manière ironique, un parcours bien balisé, au cœur d'un espace où se lit sans cesse l'identité culturelle gréco-romaine. Les catégories telles que l'autre, l' ailleurs, le sauvage, envers de la civilisation promue par ces voyageurs lettrés, n'ont que très peu de pertinence; les poètes n'accomplissent pas de voyages d'exploration, vers des confins barbares où pourrait s'établir un contact avec une nature et des hommes étrangers: Lucilius part en Sicile inspecter ses propriétés, Horace accompagne une délégation conduite par Mécène, qui a pour but de réconcilier Octave et Antoine, Rutilius, ancien Préfet de la Ville, rentre en Gaule pour porter secours à sa patrie dévastée, Venance Fortunat escorte les rois d'Austrasie dans une navigation sur la Moselle. Ces textes sont avant tout des poèmes d'occasion, à la valeur clairement épidictique4 : il s'agit de montrer un notable, ou un poète courtisan, dans la posture avantageuse du voyageur, et la tendance à l'auto- célébration, vers laquelle cette littérature ne peut manquer de dériver, est parfois l'objet d'un dérision satirique. Dès lors, l'Iter poétique latin évite soigneusement la figure du sauvage et se plaît à enchaîner des lieux de mémoire renvoyant unanimement à la paideia originaire, qui forme une véritable aura autour du
* Université de Toulouse IL Mél : keck.soler@wanadoo.fr
1. Satires, III.
2. Satires, I, 5.
3. Carmina, X, 9. On peut ajouter à cette liste Ausone, Moselle, 1-22, et Ennode, Carmina, I, 1 et I, 5.
4. Les itinera ou hodoiporika perdus, d'après ce que l'on peut deviner de leur contenu, répondaient aussi, sans doute, à cette visée épidictique, puisqu'il s'agit d'un poème de César où le général racontait son expédition fulgurante en Espagne (Suétone, Vie des douze Césars, 56, 6), et d'un poème de Lactance décrivant son voyage à Nicomédie, où il se rend à la demande de Dioclétien (Hier., Vir. Ill, LXXX, 2).
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