CONCLUSION

QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L'ÉVOLUTION PREHISTORIQUE DES

EMMANCHEMENTS

Jacques CAUVIN et Danielle STORDEUR

La Table Ronde qui vient de se tenir à Lyon représente un apport important à la question de l'évolution historique des emmanchements.

Cette question est importante. Par delà les 'études de cas' qui viennent enrichir nos connaissances, elle est présente à l'arrière plan de plusieurs essais d'interprétation et de nombreuses interventions.

Discipline historique, la préhistoire s'intéresse éminemment, en effet, à l'évolution technique, en elle-même et par ce qu'elle dénote de la complexité progressive des gestes et de l'intelligence humaine de la matière. S'il est un domaine, on le sait, où la notion de 'progrès', si contestée ailleurs, garde un sens, c'est bien celui, comme l'a dit André Leroi-Gourhan, de l'histoire des techniques. C'est dans cette optique que l'un de nous (CauvinJ., 1982) s'était risqué récemment à proposer un modèle d'évolution où la nature des emmanchements jouait précisément un rôle décisif et ce point de vue a été également intégré dans l'essai de classification proposé en avant-propos de cette rencontre, fondé sur ce que l'on savait, ou croyait savoir, jusqu'à présent à ce sujet (Stordeur, ce volume).

Deux préalables s'imposent pourtant. Ils sont d'ordre logique et méthodologique et concernent ce que nous sommes en mesure d'attendre de l'expérimentation d'une part, des comparaisons ethnologiques d'autre part.

L'expérimentation d'abord : un préhistorien qui s'y livre n'a rien d'un 'homme préhistorique'. Même si, né dans un milieu citadin, il peut être au départ quelque peu malhabile, il a derrière lui, implicite et rapidement retrouvée, toute l'expérience technique d'une humanité plurimillénaire, qui peut, lorsqu'il s'agit de reconstituer les gestes, par exemple du Paléolithique, biaiser sans qu'il s'en rende compte ses résultats parce qu'ils ont influencé l'organisation même de l'expérience. On se souvient que les premiers expérimentateurs en France, voulant vérifier la fonction des 'burins', les utilisèrent pour buriner et en conclurent, parce que cela 'marchait', que c'était bien des burins. Ce n'était pas faux mais insuffisant : on a su depuis, lors d'une précédente Table Ronde (Keeley, 1982), qu'un burin paléolithique pouvait aussi fonctionner en perçoir et que, comme l'a redit D. Cahen ces jours derniers, le coup de burin crée simplement une forme particulière qui a été exploitée de façons très diverses au cours du temps. Le présupposé inconscient de l'expérimentateur était donc ici d'attribuer aux outils paléolithiques une fonction univoque alors que cette spécialisation semble ne se faire jour que plus tard (CauvinJ., 1982). C'est ce genre d'anachronisme, dont on pourrait d'ailleurs, avec profit, analyser les causes chez les préhistoriens (oubli des données générales historiques, souci, en soi louable mais parfois excessif, de tout réexaminer d'un oeil neuf) qui peut conduire aujourd'hui à des erreurs d'interprétation d'autant plus graves qu'elles sont auréolées du prestige tout récent de l'appareillage scientifique qui ne manque jamais d'accompagner leur démonstration.

La Main et l'Outil .· manches

et emmanchements préhistoriques

TMO 15, Lyon, 1987