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BERTRAND MEYER HIMHOFF, LE SILENCE : PRÉLUDE SANS RITE

Khireddine Mourad

La peinture de Bertrand Meyer Himhoff m'a placé dans un double silence. Celui de l'œuvre qui ne me "dit" rien, et du mien comme réponse à l'œuvre. Mais peut-être que les rencontres les plus authentiques sont celles seules qui adviennent par la grâce du silence qui, dans son épaisseur, n'est qu'un prélude à l'heure privilégiée de la compréhension mutuelle. Un rituel intensément vide de tout rituel, qui nous a placés, l'œuvre et moi-même dans une sorte d'affrontement d'abord, puis d'apaisement, l'œuvre s'ouvrant peu à peu à ma curiosité sans que cela fût dans son intention, et moi renonçant à moi-même pour l'accueillir dans ce moment bien précaire où nous baissons pour ainsi dire la garde.

A mesure qu'elle me devient "visible", je découvre à ma grande surprise qu'elle eût pu être toujours là, mieux, qu'elle a toujours été là. Et qu'elle contient en elle autant de proximité et de mystère que l'objet le plus ordinaire - "ordinaire" : moins par sa banalité que sa présence permanente, étrangement ustensilaire et souverainement gratuit, invisible par trop de quotidienneté quand il vient à nous manquer.

Peu à peu, par une sourde relation - esthétique ? poétique ? comment savoir ? -, les tableaux que je regardais, puis que je remettais soigneusement dans leur chemise, devenaient nécessaires à mon environnement, s'en emparaient, s'y installaient définitivement.

La raison d'une telle situation n'est ni dans l'œuvre à laquelle peut-être j'attribue bien des secrets, ni dans ma quête obstinée d'une explication. Elle tient précisément au fait que chaque tableau recèle en lui la force d'être absolument la chose.

De la chose a la chose ou le parcours infini

La chose. Son être. Son être-là. Son évanescence. Autant de chimères qui leurrent en même temps qu'elles nourrissent l'artiste car si d'aventure il advenait qu'il renonçât à ce défi, il verrait son énergie s'étioler et son art retomber dans une mimésis qui n'est pas moins chargée d'une sourde désespérance.

Que lui reste-t-il quand il s'éveille sinon le terrible regard qui lui fait réaliser qu'il ne peut ni imiter, ni, encore moins, se lancer éperdument dans une peinture qui n'a pas pour raison d'être qu'elle-même.

Dès l'instant où cet éveil se saisit de lui, il se découvre comme le funambule, menacé d'une mort imminente et, pour cette raison même, condamné à la plus haute maîtrise de soi et du geste. Pendant ce court trajet, il a pour lui son art et sa mort. Mais peut-il les côtoyer longtemps ? Peut-il impunément parcourir à l'infini ce chemin mortifère ?

Ni le funambule, ni le peintre ne peuvent maintenir avec une constante raideur le double défi de l'art et de la mort. Aussi aspirent-ils avec une espérance angoissée l'instant final, l'un du fil, l'autre du geste.

Que le peintre alloue, dans la grâce de l'épuisement, à son geste l'acte créateur, ne signifie pas pour autant qu'il a renoncé à sa quête ; mais il cède à cet ultime recours espérant que l'œuvre, qui n'habite plus ni sa pensée , ni son regard, ni d'une manière explicite le monde, séjourne peut-être, clandestine, quelque part entre le geste, le matériau et la toile, et que son séjour frappé de brièveté ne peut que lui donner - l'œuvre - la forme fugace d'une météore. Encore faut-il que le mouvement de l'acte sur la toile donne la forme espérée. Et au peintre de répéter son acte sans rien recommencer, comme si le principe

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