Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XVIII. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\018 (1723-1725), S. 270-277, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2052 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XVIII.Dialogue.

Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► De Gorgibus & d’Antonin, deux Bourgeois. ◀Metatextualität

Gorgibus, Antonin.
Antonin.

Bon jour, Cousin ; Pourquoi ne vous voit-on plus ? toute la parenté s’en plaint au moins, je l’ai dit à ma Cousine votre Mere & à notre Oncle le Receveur ; nous avons fait les Rois ensemble, il n’y manquoit que vous. Qu’en dites-vous, mon Cousin ?

Gorgibus.

Hé ! Monsieur, je sçai bien que je suis votre Cousin, sans que vous preniez si souvent la peine de m’en faire souvenir ; j’avois bien d’autres affaires que de faire les Rois avec vous. [271]

Antonin.

Ah, ah, hé quelles affaires avez-vous donc tant, mon Cousin ?

Gorgibus.

Quelles affaires ! Hé, ne sçavez-vous pas sur quel pié je suis dans le monde, & quelles compagnies je frequente ? Ce jour-là j’étois invité à souper chez la Duchesse de. . . j’avois soupé la veille, chez la Maréchale de. . . & j’étois retenu le lendemain, chez Saussissac

Antonin.

Qui est-ce que Saussissac ?

Gorgibus.

Le Marquis de Saussissac ! Ne le connoissez-vous pas ?

Antonin.

Ouï, mais je croïois qu’un Marquis étoit bien Monsieur pour vous, mon Cousin.

Gorgibus.

Est-ce que quand on frequente les Gens de [272] qualité, on appelle Monsieur un simple Marquis ? Vous ne sçavez gueres comment on vit dans le beau monde, nous ne donnons pas même du Monsieur aux Ducs.

Antonin.

Mais on dit, mon Cousin, qu’on ne pense à vous chez toute cette Noblesse, que quand on a besoin de fournir un Lansquenet ; que ce n’est que pour jouër qu’on vous invite.

Gorgibus.

Il est vrai que j’y jouë, mais ils sont de mes amis sans cela, & ils viennent souvent manger chez moi. J’avois encore hier sept personnes de la Cour, ils me demanderent à diner, & mangerent comme des enragez ; nous fûmes jusqu’à minuit à table, il ne fût non plus question de jeu que s’il n’y en avoit point au monde.

Antonin.

C’est encore pis, mon Cousin, ils ne vous invitent chez eux que pour jouër, & ils ne vont chez vous que pour vous manger. [273]

Gorgibus.

S’ils mangent chez moi, je mange chez eux.

Antonin.

Hé ! mon Dieu, nous sçavons de vos nouvelles & comment ces Messieurs-là vous traittent quand vous vous aviez d’aller chez eux, pour y manger. Avez-vous oublié que l’autre jour étant allé chez. . . . à l’heure de souper, on vint vous prier de vous retirer, parce qu’on avoit grand monde ce jour-là, que c’étoit des Gens de qualité, avec qui il ne convenoit pas de faire manger un Bourgeois ?

Gorgibus.

Hé bien ! il faut bien vivre avec les vivans ; c’est ce qu’il y a de commode chez les Gens de qualité : Ils nous renvoïent si honêtement, qu’il faudroit être tout-à-fait Bourgeois pour s’en fâcher : & puis, ne doit-on pas se rendre justice ? Est-ce que, quand on a le malheur de n’être pas de leur qualité, on ne doit pas leur accorder quelque chose ? . . . On ne sçauroit trop leur marquer de déference & de respect. [274]

Antonin.

Mais, qui vous oblige, mon Cousin, de jouër avec eux, & de les régaler tous les jours ?

Gorgibus.

Quoi ! vous voudriez que je ne répondisse pas aux honêtetez qu’ils me font ? Je voudrois bien vous y voir ; vous qui parlez ; si vous aviez tous les jours à votre levé, un Valet-de-pié de Duchesses, ou de Maréchales de France, nous verrions comment vous vous en tireriez.

Antonin.

Moi ! j’en aurois plus que vous, si je voulois.

Gorgibus.

Vous ! & vous ne sçavez pas jouër.

Antonin.

C’est justement ce qui redoubleroit leur empressement & leurs invitations ; moins je sçaurois jouër, plus ils auroient d’empressement pour m’embarquer au jeu ; je verrois [275] chez moi, Seigneurs & Dames de toutes sortes.

Gorgibus.

Et vous leur fermeriez votre porte ? Vous n’iriez pas chez eux ?

Antonin.

Je m’en excuserois honnêtement ; je leur dirois, sans façon, que, n’étant qu’un Bourgeois, je les prie de trouver bon que je demeure dans ma sphere. . . .

Gorgibus.

Il faut être comme vous êtes, un fieffé Bourgeois, pour en user ainsi avec les Gens de qualité.

Antonin.

Mais enfin, mon Cousin, voulez-vous que je vous parle serieusement ? avez-vous du goût pour eux ? . . .

Gorgibus.

C’est mon charme, c’est ma passion ; je croi être un autre homme quand on me voi dans leur compagnie, & si je m’en croïois, [276] j’assemblerois tous nos Parens pour les en rendre témoins, tant je suis persuadé que cela me fait honneur & me distingue dans la famille. Franchement, avouez qu’il faut avoir plus d’esprit qu’un autre, pour se ménager ces petites distinctions ; demandez à ma mere ce qu’elle pense, elle est charmée des belles compagnies que je frequente, & elle le dit à tout le monde.

Antonin.

Hé ! mon Dieu, votre mere est aussi folle que vous ; mais enfin, mon cher Cousin, puisque j’ai commencé à vous parler serieusement, si vous voulez que les Gens de qualité vous considerent & vous distinguent, renoncez au jeu, appliquez-vous à votre Charge, rendez-vous y habille homme, soïez un bon Juge, travaillez. . . .

Gorgibus.

Moi, que je demeure dans la crasse du Palais, & que les Gens de qualité ne me considerent que comme un homme dont ils peuvent avoir besoin ? [277]

Antonin.

Et vous souffriroient-ils parmi eux, si vous ne leur étiez d’aucune utilité ? Croïez-moi, si les gens de qualité méprisent les Bourgeois, il n’y en a aucun qu’ils méprisent davantage, que ceux qu’ils pillent & qu’ils mangent à la faveur de la familiarité qu’ils leur permettent. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1