Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. I.", in: La Bigarure, Vol.6\001 (1750), S. 3-8, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4700 [aufgerufen am: ].


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N°. I.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Madame,

Dans la disette de Nouvelles où nous nous trouvons ordinairement ici pendant la belle saison, que tout le beau monde de cette Ville va passer à la Campagne, c’est une espece de prodige que nous ayons pu fournir la carriere dans la quelle nous nous sommes engagez mon frere & moi ; & c’en est un encore plus grand, que nous l’ayons remplie de façon que vous n’en ayez point été mécontente. Je vous l’avois bien dit, il y a environ un an, que l’Amitié, comme l’Amour, fait quelquefois des Miracles. Jugez par-là combien la notre pour vous est sincére, & si nous nous endormons lorsqu’il s’agit de vous servir. Il est vrai que, comme nous nous y employons l’un & l’autre de tout notre cœur, nous avons aussi la satisfaction de voir que nos peines vous sont agréables, & que vous voulez bien vous contenter de nos Nouvelles telles que le tems & la saison nous les fournissent. Encore un peu de patience, & l’aproche de l’hiver nous fournira de quoi vous dédomager amplement de la disette actuelle dans la quelle nous nous trouvons, & qui ne durera pas encore long tems. En attendant, voici deux petits événements, & une assez jolie piéce de Vers, qui pouront vous amuser.

[4] Allgemeine Erzählung► Vous sçavez, Madame, que nous avons ici un Couvent de Chartreux, qui est fort riche. Dans le grand nombre de fonds que ces Religieux possedent, ils ont, entre autres, plusieurs beaux & grands Hôtels, dans les environs du Palais Luxembourg, qu’ils ont fait construire sur leur terrain qui s’étend jusque là. Les plombs de quelques uns de ces Hôtels avoient besoin de quelque réparation ; les Chartreux avoient décidé dans leur Chapitre, qu’il falloit y faire travailler au-plutôt. Il n’est point de gens plus attentifs à la conservation de leurs biens que les Moines. La raison qu’ils en donnent, c’est que, n’en étant que les dépositaires, il <sic> sont, disent ils, obligez en conscience de les transmettre en bon état à leurs Successeurs. Ces bons Religieux ont pour Procureur (c’est une espece d’intendant qui est chargé de veiller sur les biens du Couvent) un de leurs Moines nommé Frere André, homme fort entendu dans les affaires, & très propre à cet emploi. Frere André reçut donc ordre de faire travailler au-plutôt à cette réparation.

Un de ces fripons que l’on nomme ici Filoux, ayant eu vent de cet ordre, résolut de jouer un tour à ces bons Peres, & de leur rogner un peu, pour cette année, le revenu dont ils jouissent, & qu’apparemment il trouva un peu trop ample. Pour réussir dans son dessein, il se travestit en Plombier, prend quatre Manoeuvres, & va se presenter hardiment à deux Hôtels appartenant à ces Religieux, disant qu’il vient de la part du Frere André qui leur avoit donné ordre d’oter tous les vieux plombs qui ne valoient rien, pour les remplacer par d’autres tout neufs. Ils montent pour cet effet sur les toits d’où ils en enlevent environ pour la valeur de mille écus, qu’ils chargent sur des charettes qu’ils avoient [5] eu la précaution d’amener avec eux. Les gens d’esprit pensent à tout. Cette expedition étant faite avec toute la tranquilité possible de la part des gens de l’Hôtel, on attend quelques jours que le Plombier revienne avec des plombs neufs achever son ouvrage ; Mais la commission de celui-ci étoit finie, & il n’y avoit plus rien à faire pour lui ; aussi ne le vit-on plus reparoitre.

Cependant la pluye perçant dans les appartements, on envoye aussitôt avertir les Chartreux de l’état où se trouvent les toits de leurs maisons. Le Frere André, qui ne sçavoit pas qu’ils étoient découverts, envoye sur-le-champ chez le Plombier du Couvent, avec ordre d’aller faire les réparations nécessaires. Mais le bon Frere fut bien étonné quand celui-ci lui apprit qu’il ne restoit pas seulement une once de plomb sur le toit des deux Hôtels, d’où il avoit été enlevés, quelques jours auparavant, par des fripons qui s’étoient dits envoyez par le Frere Procureur, & qu’on n’avoit point revus depuis ce tems-là. On cherche, dit-on, actuellement le maitre Filou qui a fait ce coup hardi qu’on peut bien appeller, avec raison, un vol public & manifeste, puisqu’il a été fait au vû & au scû de tous les passants ; Mais pensez-vous, Madame, qu’on le trouve ? . . . ◀Allgemeine Erzählung Pas plus qu’un autre fripon dont je vais vous écrire l’avanture, mais qui n’a pas été, à beaucoup près, si heureux que celui-ci dans son entreprise dont il se ressouviendra toute sa vie. Voici le fait tel qu’on raconte qu’il est arrivé cette nuit dans la rue Saint Denis.

Allgemeine Erzählung► Quelques Voleurs, ayant formé le projet d’entrer dans la Boutique d’un Marchand de Galon pour y exercer leur patibulaire talent, commencerent par faire sauter le seuil de sa porte En-[6]suite le plus hardi d’entr’eux passa son bras pour tâcher d’ouvrir les verroux, & autres instruments de fer qui servent à fermer solidement une porte. Cette opération ne put se faire sans quelque bruit ; & malheureusement pour lui, ce bruit réveilla un garçon qui couchoit dans l’arriere-boutique. Celui-ci écoute, regarde, & à la lueur d’une lampe, qu’on a coutume de laisser allumée pour se garantir de pareils accidents, il voit le bras du Voleur. Au lieu de crier au Larron, comme d’autres auroient pu faire en semblable cas, il se leve, & va chercher son Maitre. Ils descendent tous les deux en silence, & marchant sur leurs bas & sur la pointe de leurs pieds, ils s’aprochent de la porte que le Voleur travailloit à ouvrir. Alors le saisissant par le bras, qu’il avoit déja presque passé jusqu’à l’épaule, ils lui passent une bonne corde, à nœud coulant, au poignet, & attachent fortement cette corde à un pillier de fer qui étoit près de la porte.

Leur dessein dans cette opération étoit de se divertir un peu de l’embarras de ce malheureux, & de voir comment il s’y prendroit pour se tirer du piége dans le quel il se trouvoit pris. Il étoit difficile qu’il en sortit sans y laisser, comme l’on dit, pied, ou aile. Ses camarades le sentirent aussi bien que lui. Le voyant donc pris, comme au trebuchet, & craignant, avec raison, qu’il ne les décelât en qualité de complices s’il venoit à tomber entre les mains de la Justice comme la chose paroissoit inévitable, ils resolurent de lui couper le bras. La chose fut sur-le-champ éxecutée, après quoi ils emporterent leur compagnon, le quel, assurément, ne fera pas tenté de se mefier à l’avenir de pareilles affaires C’étoit, au-reste, le seul moyen que ces fripons pussent employer pour éviter un bien plus grand malheur qui seroit immanquablement tombé sur toute la troupe, la quelle jugea très sainement qu’il valoit infiniment mieux perdre un bras, que d’exposer tout le corps à une perte manifeste & inévitable. Le bras ainsi resté pour les gages a été remis, ce matin, au Commissaire du quartier que l’on a instruit, selon l’usage, de cette Avanture. Celui ci l’a fait porter aussitôt à la Morne *1 où vous pouvez être bien assurée, Madame, qu’il ne sera réclamé ni par celui qui l’a perdu, ni par ceux qui le lui ont coupé. ◀Allgemeine Erzählung

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[7] Epitre
à la jeunesse
.

Incomparable Enchanteresse,

Par qui tout plait, tout interresse,
Et sans qui tout manque d’appas,
Déesse aimable & fugitive,
Arrête, que ma voix plaintive
Pour un moment fixe tes pas !
Jeunesse, d’un vol si rapide
He quoi ! tu veux m’abandonner.
Si tout me devient insipide,
Pourai-je te le pardonner ?

Helas, lorsque ta main volage

Nous met sur un Trône de fleurs,
Croit-on qu’au delà du bel âge
Tu nous couteras tant de pleurs !
On cueille ces fleurs séduisantes
Dont l’éclat dérobe à nos yeux
Les douleurs vives & cuisantes
D’un avenir injurieux ;
A ta douceur on s’abandonne,
On chérit tout ce qu’elle donne,
On s’enyvre de Voluptez ;
Vains plaisirs ! Un si doux empire
Commence à peine, qu’il expire
Et fait place à tes cruautez ;
Banquet trompeur, mais délectable ;
L’Esperance nous met à table,
L’Ennui nous attend au dessert.

Déja tout ce qui m’environne

Me dit que tu fais pour toujours.
Déja se fane la couronne
Que je portois dans mes beaux jours.
De ces Guirlandes passageres,
Dont me paroient tes mains légéres,
Le Tems vient de couper le fil,
Et dans les yeux de nos Bergeres
Je lis l’arrêt de mon exil.
De ma languissante Musette
On dédaigne les foibles sons ;
A l’ombre de nos verds buissons
La malicieuse Lisette
Ne répete plus mes chansons.

Ainsi notre gloire s’envole,

Et vainement, dans mon malheur,
De quelque espérance frivole
Je voudrois flatter mon malheur.
Tout est perdu, Chloé m’évite,
[8] Elle qui m’auroit attendu ;
Lise me fuit encor plus vite
Et notre sage prétendu
Arcas, le grave Arcas m’invite ;
Tout est fini, tout est perdu.
Ma plainte est-elle legitime ?
Trop cruelle Divinité
Qu’encense notre vanité
Pour en devenir la Victime !
Mais en manquant à nos desirs
Pourquoi de nos premiers plaisirs
Nous laisser une image intime ?
Pourquoi nous conserver toujours,
En nous reduisant à l’estime
Le souvenir de nos amours ?
De la nuit le brillant mensonge
Devroit-il survivre au sommeil ?
La mémoire du plus beau songe
Est le suplice du réveil :
Oui, mon tourment s’accroit encore
En me rapellant mon Aurore
Quand je vois coucher le Soleil.

Envain, avec un air austére,

Pour m’aider à quitter Cythere
La Raison m’offre son apui ;
Qu’ai-je affaire d’elle aujourdhui ?
Qu’est devenu le doux mistere ?
Que sont devenus les moments
Où les Graces, intelligentes
Dans l’art de nos amusements,
Avec des mains si diligentes,
Formoient ces nœuds délicieux
Où, sous des loix plus indulgentes,
J’étois moins sage & plus heureux ?

Je te vois, perfide Jeunesse,

D’un ris qu’anime la finesse
Assiéger la froide Raison.
Tu ris de voir que la Sagesse
Sur moi répand avec largesse
Les fruits de l’arriere-saison.
Ce que Pomone fait éclore,
Et qui meurit avec le tems,
Vaut-il un seul regard de Flore
Lorsque l’on est dans son Printems ? ◀Ebene 3

Cette piéce est de M. Pesselier, Poëte connu par plusieurs Ouvrages, & particulierement par un petit Recueil de Fables, & plusieurs autres Poësies, qui ont été bien reçues du Public.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 6 Octobre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1* Endroit, dans la Cour du Grand Châtelet, où l’on expose les cadavres des personnes inconnues que l’on trouve mortes de mort violente.