Un espace respirant

Un espace respirant.

Quel est le sens de cette combinaison de mots?
Mot à mot. Outre le déterminant, il s'agit d'un nom masculin et d'un adjectif. L'association de ces deux éléments est délibérément floue, malgré le fait qu'ils sont compréhensibles indépendamment.
Dans le langage courant et dans un dictionnaire comme le Littré, le nom masculin «espace» désigne, «une étendue indéfinie». Ce mot fourre-tout a besoin d'un qualificatif ou d'une description précise pour être cerné. Néanmoins, pour un professionnel de l'architecture comme pour une personne extérieure à ce domaine, ce mot « espace » a un caractère évocateur incontournable. Georges Pérec, dans son livre «Espèces d'espaces», écrit un formidable éloge de ce terme en énumérant de manière poétique les univers sémantiques qui y sont associés.
L'adjectif «respirant», quant à lui, est un terme plus précis. Il désigne, par sa famille étymologique, «Qui respire, qui vit». Respirer est un verbe qui nomme l'action d'«Attirer l'air dans sa poitrine, et (de) le repousser dehors» . Cette action relève d'un phénomène somatique, lié au corps et inhérent à chacun.
Cette combinaison « espace respirant » est alors porteuse d'un sens à définir. Abordée entre des interlocuteurs, elle engage une discussion autour de la définition d'une représentation mentale commune prémice de leurs échanges, qui seront basés sur le partage d'une notion subjective issue de leurs imaginaires propres.

Mon travail s'appuie sur le questionnement de la représentation liée à l'ambiance dans la phase de conception.
Cette phase est un temps de dialogue où les interlocuteurs mettent en commun des intentions pour la conception du projet, s'appuyant sur des supports physiques et des références mentales. Ensemble, ils développent une représentation mentale commune du projet pour discuter et se comprendre.
Dans une perspective d'ambiance, ce temps de communication doit permettre la restauration d'« une pensée de l'aisthesis qui dépasse le jugement de goût, réhabilite la place du corps, de la sensibilité et de l'émotion» . Jean-Paul Thibaud définit trois grands principes qui lient les pensées de Jean-François Augoyard et de Gernot Böhme , au sujet de l'ambiance. Le premier principe se rapporte à la qualité sensible afférente au milieu environnant, dont découle une subjectivité individuelle et/ou collective. Le deuxième est le caractère intersensoriel d'une ambiance, induit par le phénomène d'expérience totale. Le dernier principe se trouve dans le rapport qui existe entre la réception et la création de celle-ci. L'utilisateur de l'espace participe intrinsèquement à l'ambiance existante.
Tout ceci nous renseigne sur les spécificités nécessaires que devra comporter cette phase de communication liée à l'ambiance d'un lieu. La nature du message suscite des informations personnelles, sensorielles et expérientielles.
En interrogeant certains raisonnements, comme ceux d'Umberto Eco et de Gilles Deleuze, on comprend qu'un message «ouvert» et «poétique» pour le premier, ou «haptique» pour le second sont des perspectives aptes à transmettre une sensorialité dans un propos.

Aussi, dans mon travail, ai-je envisagé de mettre en lien ces deux auteurs afin de développer une méthode de représentation permettant de «rendre présent» une sensation dans un message pour correspondre à la création d'une ambiance.
Respirer : Attirer l'air dans sa poitrine, et le repousser dehors. | Vivre. | Fig. Se manifester. | Avoir quelque relâche après un travail, une épreuve pénible. | Activement. Attirer par la respiration. | Exhaler | Avoir la vive apparence de, annoncer. | Souhaiter avec ardeur. Dictionnaire Le Littré en ligne.
Talon-Hugon, Carole. «Introduction», Carole Talon-Hugon éd., L'esthétique. Presses Universitaires de France, 2008, pp. 3-10.
Thibaud, J. (2012). Petite archéologie de la notion d'ambiance. Communications, 90, (1), 155-174. doi:10.3917/commu.090.0155.
Après des études de philosophie, d'esthétique et de musicologie, il enseigne d'abord à l'Education Nationale. Fondateur du Centre de Recherche sur l'Espace sonore (1980) il a été co-fondateur, en 1992, du laboratoire 'Ambiances architecturales et urbaines' et d'une formation doctorale sur le même thème.
« philosophe allemand émérite ayant publié dans le domaine de la philosophie des sciences, de la théorie du temps, de l'esthétique, de l'éthique et de l'anthropologie philosophique. Il est en Allemagne l'un des pionniers de l'écocritique, l'étude de la relation entre la culture et l'environnement. Il a été le directeur de l'Institut de Philosophie Pratique à Darmstadt. » Wikipedia.
Représenter : XIIe s. : du latin repraesentare (rendre présent). Dictionnaire étymologique, Jean Mathieu-Rosay, Marabout, Alleur, Belgique, 1985.