van Zuylen, Edmond
[UCL]
Paque, Bernard
[Louvain School of Management ]
Le sujet traité tout au long de ce travail de recherche est le microcrédit professionnel. Il s’agit d’un crédit de moins de 25.000 euros octroyé par des institutions de microfinance (IMF) afin de favoriser le lancement et le développement d’activités par des indépendants ou microentrepreneurs exclus du système bancaire traditionnel. Cet instrument d’insertion professionnelle d’entrepreneurs précaires est encore assez récent en Europe puisqu’il fit sa timide apparition dans les années 80 dans nos contrées européennes. De plus, les IMF offrant ce genre de produit se sont développées sous une multitude de modèles et formes juridiques. L’intérêt d’étudier un tel produit nait de l’existence de nombreuses personnes en situation d’exclusion sociale et financière en Europe. Ces potentiels entrepreneurs présentent rarement les garanties nécessaires pour obtenir un crédit auprès des banques et possèdent souvent une situation financière fragile, ce qui augmente le risque pour les banques. Dès lors, bien que certains partenariats existent entre les IMF et les banques pour des raisons de réputation et de RSE, les banques sont encore fort désintéressées par le secteur de la microfinance à l’heure actuelle. Même s’il apparaît que la dynamique entrepreneuriale européenne soit faible actuellement, nous avons constaté l’existence d’un entrepreneuriat de nécessité important, n’ayant pas d’autre de choix que de se créer son propre emploi afin de subvenir à ses besoins. C’est par l’ensemble de ces constats que le sujet étudié prend tout son sens. Nous nous sommes ensuite intéressés de plus près aux modèles des IMF en vue de comprendre si ces dernières constituent un outil optimal d’aide aux microentrepreneurs et indépendants exclus financièrement. D’abord, nous avons compris que leurs modèles sont pratiquement exclusivement dépendants de sources de financements externes en tous genres (bénévolat, lignes de crédit de grandes banques, dons, mécénat d’entreprises privées, subsides publics, etc.). De plus, leur mission de soutien aux microentrepreneurs implique un équilibre fondamental à tenir entre deux pôles extrêmes. D’une part, il s’agira d’assurer une certaine rentabilité financière et opérationnelle au travers de leur activité de prêt. D’autre part, les IMF devront maintenir une mission sociale de soutien aux personnes précarisées afin de favoriser leur accès au financement et le lancement de leurs activités entrepreneuriales. Dans la pratique, nous nous sommes aperçus que cet équilibre était très difficile à tenir en raison des coûts opérationnels et d’accompagnements très élevés qui incombent aux IMF. De plus, ces institutions, qui dépendent de financements externes, doivent venir en aide à des entrepreneurs ayant un profil risqué, présentant peu de garanties, et désirant souvent lancer leur activité dans des secteurs à risque. De récentes études prouvent que les bénéfices générés par ce genre d’institutions tendent à dépasser les coûts qui leurs incombent. Si l’action des IMF permet la concrétisation de projets par des entrepreneurs dans des situations très fragiles, elle entraîne également des économies considérables pour l’Etat. D’une part, par la réduction des allocations de chômages à payer. D’autre part, par l’augmentation des recettes de l’Etat due au paiement d’impôts par toutes les nouvelles activités génératrices de revenus créées. Plusieurs programmes européens, alimentés par les fonds structurels européens et le Groupe BEI, ont d’ailleurs vus le jour depuis 2007 dans le but d’apporter un soutien technique et financier à ce secteur. Afin de mieux saisir toutes les spécificités de ce secteur ainsi que sa capacité à constituer un facteur de développement pour des microentrepreneurs dans la nécessité, nous nous sommes intéressés de plus près aux paysages belge et français de la microfinance. Dans ce cadre, nous avons confronté nos présomptions théoriques aux avis de dix experts du milieu de la microfinance de part et d’autre de la frontière franco-belge. Ces divers entretiens nous ont permis de confirmer plusieurs hypothèses préalables. Tout d’abord, nous avons cerné les principaux freins à la création de micro-entreprises. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer la lourdeur des procédures administratives, la perte des allocations de chômage au lancement ou encore le paiement de cotisations sociales trimestrielles élevées. De plus, il est apparu que les modèles empruntés par les IMF belges et françaises soient encore loin d’être viables sur le long terme. En effet, ceux-ci demeurent fort dépendants de sources de financements externes, ce qui implique une trop faible part des frais opérationnels couverts par leur activité de prêt. Ensuite, il s’avère que le public-cible soit principalement un public précarisé, soit bénéficiaire de minima sociaux ou au chômage, soit exclus du système bancaire traditionnel. En vue de toucher un tel public, nos intervenants nous confient que la visibilité de leur IMF constitue un facteur clé. Les IMF auront donc recours à des stratégies de pénétration de marché diverses afin d’augmenter cette visibilité. Le bouche-à-oreille ainsi que le maintien de partenariats avec les structures externes d’appui aux entrepreneurs représentent le moyen privilégié par les IMF pour véhiculer leur existence. Nos entretiens ont également révélés le désintérêt bancaire pour le secteur de la microfinance. Bien que certains partenariats existent dans les deux pays, ceux-ci représentent une volonté des banques de manifester un engagement sociétal. Leurs engagements et investissements dans la microfinance ne sont donc pas forcément liés à une perspective de rentabilité puisque le modèle économique emprunté par les IMF ne les rend pas rentables à ce stade. Pour que la mission d’aide aux microentrepreneurs soit un succès, l’IMF va devoir se montrer maître dans l’art de l’accompagnement. Celui-ci consiste en un suivi de proximité du client en lui fournissant un ensemble de services et conseils en tous genres (administratifs, juridiques, marketing, comptables, financiers, etc.). Cependant, nous comprenons que cet accompagnement individuel nécessite énormément de temps. De plus, il est souvent réalisé par un personnel limité et n’aboutit pas toujours sur un crédit à son terme. Il y a donc un frein à la productivité des IMF dû à la nature précaire et risquée de son public-cible. Dès lors, nous pouvons relever les grands challenges auxquelles font face les IMF actuellement, tant en France qu’en Belgique. Le premier enjeu est celui de la viabilité et durabilité de l’IMF sur le long terme. Ensuite, il sera crucial pour l’IMF de pouvoir assurer un accompagnement de qualité en repérant rapidement les projets à haut potentiel de croissance. Les partenariats avec le secteur bancaire peuvent, quant à eux, constituer une source de financement conséquente pour les IMF, ce qui leur permettrait de maintenir un certain volume de prêt. Enfin, les IMF doivent pouvoir innover au quotidien dans leur approche du marché, en tentant systématiquement d’adapter leur offre à la demande. Au vu des nombreuses limites qu’implique une telle activité, nous souhaitions formuler une série de recommandations pratiques s’adressant à la fois aux IMF, aux pouvoirs publics, et aux entrepreneurs eux-mêmes. Toutes visent à faire en sorte que le microcrédit professionnel permette davantage de favoriser le lancement et le développement d’activités indépendantes. Etant donné la baisse des subsides publics en raison des nombreux déficits budgétaires nationaux en Europe, les IMF devraient transformer ces subsides en dons et mécénat privé de la part d’entreprises et investisseurs socialement responsables. En vue de réduire leur dépendance aux sources de financement externes, les IMF devraient également opter pour une stratégie de réduction des coûts et d’augmentation de leur efficacité opérationnelle. De plus, l’établissement d’un système de scoring, évaluant les risques des clients sur base de probabilités, est également envisageable puisqu’il permettrait de détecter plus facilement et avec un gain conséquent en temps les bonnes demandes introduites par les entrepreneurs. Une façon d’augmenter l’efficacité opérationnelle des IMF serait d’inciter les personnes retraitées et socialement investies à s’engager de manière bénévole dans les IMF afin de soutenir leur volet d’accompagnement. Nous devons également considérer l’établissement d’un système de parrainage (déjà présent dans une IMF française) qui permettrait aux cadres d’entreprises (retraités ou non) de faire du coaching dans les IMF dans l’espoir d’améliorer la qualité de l’accompagnement, et ainsi augmenter les chances de succès des IMF dans leur mission de soutien aux microentrepreneurs. Ensuite, nous pensons à la mise en place d’un contrat de crédit obligeant les entrepreneurs réussissant à monter une activité florissante grâce au soutien des IMF à reverser un certain pourcentage de leurs bénéfices aux IMF ou à s’engager dans l’accompagnement des nouveaux clients de ces institutions. En ce qui concerne le pouvoir d’action des autorités publiques, nous sommes convaincus qu’il devrait s’orienter vers la mise en place d’un cadre législatif facilitant la création de micro-entreprises. Cela passerait par des mesures telles que la conservation des allocations de chômage durant une période limitée au lancement de micro-activités, la mise en place d’un statut fiscalement et socialement avantageux pour les microentrepreneurs comme c’est déjà le cas en France avec le statut de l’auto-entrepreneur, ou encore une diminution des cotisations trimestrielles à payer. Les pouvoirs publics auraient également tout intérêt à rendre l’examen donnant accès à la « gestion », et donc au microcrédit, plus adapté au public-cible et plus strict afin d’éviter la survenance de mauvaises demandes par la suite. Enfin, nous les encourageons à instaurer des politiques visant à stimuler l’entrepreneuriat dès le plus jeune âge. Cela permettrait de mieux préparer les futurs entrepreneurs au métier d’indépendant et de réduire les coûts d’accompagnement des IMF lorsque les clients arrivent avec un projet. En vue de palier à cette dépendance aux financements externes, nous suggérons également l’établissement d’un système de fondations privées semblables à des compagnies d’assurances fournissant des garanties aux IMF. Ces garanties proviendraient d’investisseurs socialement responsables qui pourraient détaxer une majeure partie de l’argent investi au travers des fondations. Leur return serait tout simplement le bénéfice social dégagé par leurs investissements. Enfin, nous ne pouvons qu’encourager les microentrepreneurs à correctement s’entourer lors du lancement de leurs projets, et à penser à chaque facette de celui-ci en le rendant compréhensible et réaliste. Chaque individu n’ayant pas l’âme d’un entrepreneur, les IMF devront parfois refuser le microcrédit à des clients qu’il faudra protéger d’eux-mêmes afin d’éviter qu’ils n’aggravent leur situation initiale.
Bibliographic reference |
van Zuylen, Edmond. Le microcrédit professionnel en Europe est-il pertinent et suffisamment développé pour constituer un facteur de développement des microentrepreneurs? Etude comparative de l'offre de microcrédit professionnel en Belgique et en France. Louvain School of Management, Université catholique de Louvain, 2015. Prom. : Paque, Bernard . |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:2799 |