Delmotte, Florence
[FUSL]
Partant de l’étude de l’œuvre d’Elias, et non de l’étude des relations internationales, pour répondre à la question de ce que la première apporte à la seconde, il est tentant de faire l’exercice inverse et de montrer ce que les relations internationales apportent à la sociologie d’Elias. Une lecture internationaliste tout à la fois éclaire et complexifie ses enjeux et il importe de comprendre pourquoi si l’on veut profiter du traitement que l’auteur réserve à ce qui se joue « au plus haut niveau », au niveau « le plus englobant » et « le plus complexe » des interdépendances humaines. Non seulement les textes traitant explicitement des relations internationales s’avèrent incontournables pour se faire une idée d’ensemble de l’analyse éliassienne du politique. Non seulement le politique – et donc la politique internationale – ne peut être considéré comme une dimension séparée des autres aspects de la vie humaine dans une approche dénonçant la « pseudo-spécialisation » des sciences. Mais encore le problème de l’évolution des relations entre « unités de survie » et de ce qui se passe « au-delà » de l’État-nation touche-t-il au cœur les ambitions théoriques et éthiques de la sociologie des processus. On ne peut dès lors s’en tenir à ce que l’auteur dit des relations « entre États » pour prendre la mesure de son apport sur les questions internationales. C’est dans cette optique que nous proposons de relire « Les pêcheurs dans le Maelström », qui traite explicitement de ces questions, mais aussi La dynamique de l’Occident (1975, traduction française partielle du second tome de l’ouvrage majeur Über den Prozess der Zivilisation, 1939), les Studien über die Deutschen (The Germans, 1996) et « Les transformations de l’équilibre “nous-je” », texte tardif publié dans La société des individus (1991) et qui avait retenu l’attention de Guillaume Devin dans son article fondateur consacré à Norbert Elias et aux relations internationales en 1995. Elias reste, dans le domaine, un auteur relativement peu mobilisé en dépit de l’appropriation de son œuvre par la science politique, notamment en France, depuis sa mort. Cependant, du côté anglophone, l’intérêt des internationalistes pour la perspective « historique » ou « constructiviste » d’Elias va croissant depuis la fin des années 1990 et il est révélateur que, parmi les plus récentes, les interprétations les plus pénétrantes d’un point de vue sociologique, politique et philosophique soient dues à des internationalistes. On songe ici aux travaux d’Andrew Linklater sur la civilisation des relations internationales qui met au jour des ambiguïtés de l’œuvre ou des hésitations particulièrement stimulantes. Pour passionnant qu’il soit, le débat portant sur la question de savoir ce qui, d’un « réalisme hobbesien » ou d’un « cosmopolitisme kantien », l’emporte dans la vision d’Elias n’est pas au centre de notre propos – ni la discussion tout aussi intéressante sur la parenté entre les analyses d’Elias et les théories réalistes et néoréalistes. Cela dit, ces débats permettent de creuser la question, centrale chez Elias, de l’État comme principal acteur des relations internationales et de son devenir en tant que tel. On aurait d’ailleurs pu, dans ce qui suit, se concentrer sur le rôle international de l’État dans l’approche socio-historique ou s’arrêter sur les thèmes, aussi centraux, de la violence et du conflit. On a plutôt fait le pari d’honorer une vision « continuiste » et englobante – ce qui ne veut pas dire harmonieuse – et d’aborder ces éléments tout ensemble à travers la notion d’interdépendance, qui donne sa colonne vertébrale à la sociologie d’Elias et unifie celle-ci à travers trois ambitions solidaires.


Bibliographic reference |
Delmotte, Florence. Les interdépendances internationales au coeur de la sociologie des processus d'Elias. In: Guillaume Devin (dir.) et al., Penser les relations internationales avec la sociologie, CNRS Editions : Paris 2015, p.71-91 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.3/152592 |