La fin du XXe siècle et le début du XXIe sont marqués par une remise en cause de l’institution psychiatrique et de la prise en charge résidentielle des personnes malades mentales. La Belgique, traversée par ce mouvement, connait un certain nombre de réformes encourageant l’offre ambulatoire des soins en santé mentale. La tendance est à la fermeture des lits psychiatriques en milieu hospitalier pour en ouvrir d’autres au sein de structures extrahospitalières, en milieu ouvert. Une des dernières réformes, communément appelée « Réforme 107 », vise la création de réseaux et circuits de soins. Son objectif est de prodiguer des soins au patient dans son environnement de vie et d’engager de nombreux acteurs, issus de disciplines professionnelles différentes, dans la continuité des soins, ainsi que le patient lui-même et sa famille. Dans ce pays, le régime de l’internement des auteurs d’infraction pénale atteints d’un trouble mental est lui aussi concerné par cette remise en question de l’institutionnalisation comme mode privilégié de prise en charge. Jusqu’au début du XXIe siècle, le régime de l’internement était régi en Belgique par une loi de défense sociale de 1930, légèrement révisée en 1964, dont le pivot restait une mesure d’internement en institution souvent fermée. Une loi de 2014, qui réforme le système, modifie en principe cette approche : si elle ne supprime pas le recours au placement en institution, elle inscrit la notion de « trajet de soins » au cœur d’un dispositif qui vise à encourager une prise en charge plus rapide en ambulatoire, dans le cadre de la libération à l’essai, dernier sas avant une libération définitive. Le concept de « trajet de soins » entre en résonance avec les objectifs et fonctions de la Réforme 107 citée plus haut : dans le cadre de cette réforme, des équipes mobiles pluridisciplinaires « Trajets de Soins Internés » (TSI) sont ainsi créées au côté des équipes mobiles générales « 107 ». La mission principale des équipes TSI est d’accompagner les personnes faisant l’objet d’une mesure d’internement tout au long de leur « trajet de soins », depuis les institutions fermées à leur parcours ambulatoire et, si nécessaire, jusqu’à 6 mois après leur libération définitive. Dans le même temps, la question du traitement des personnes atteintes d’un trouble mental fait l’objet d’une nouvelle lecture à partir du prisme du handicap. Abordant la question des personnes en situation de handicap mental, la Convention ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) de 2006 fait clairement référence aux personnes internées et son organe de contrôle, le Comité des droits des personnes handicapées, s’est montré fortement critique à l’égard de la politique d’institutionnalisation maintenue en Belgique par la loi de 2014. Au nom d’une lecture « sociale » du handicap, cet acteur semble plaider, dans son interprétation de l’article 14, pour une prise en charge accrue des personnes en situation de handicap mental en milieu ouvert et pour une interdiction de leur institutionnalisation sous contrainte. Il apparait toutefois que la lecture de l’article 14 autorise une autre interprétation, paradoxalement plus répressive, dès lors que la personne en situation de handicap mental a commis une infraction pénale. Dans ce contexte, le présent panel a discuté des efforts et pratiques de désinstitutionnalisation sur la scène de l’internement pénal. Comment cette désinstitutionnalisation est-elle envisagée par deux textes majeurs du droit des droits fondamentaux, la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention onusienne relative aux droits des personnes handicapées ? De quelle façon et sous quelles formes concrètes se décline la désinstitutionnalisation sur cette scène ? Comment prendre en charge hors les murs des personnes sous mesure d’internement ? En quoi consiste le travail des équipes mobiles TSI, chargées de suivre les personnes internées tout au long de leur « trajet de soins » ? Quel(s)rôle(s) jouent les acteurs divers entourant les personnes internées libérées à l’essai dans leur milieu de vie (parents, proches, amis, associations, etc.) ? Comment penser une trajectoire hors de l’institution qui favorise l’autonomie de la personne internée et sa réinsertion dans la société ? Le panel comprend quatre contributions : La privation de liberté des auteurs d’infraction en situation de handicap mental à l’aune des droits fondamentaux Yves Cartuyvels, Professeur, UCLouvain Saint-Louis Bruxelles (Belgique) L’internement : de l’institution à la désinstitutionnalisation… et vice versa ? Sophie De Spiegeleir, Doctorante en sociologie-anthropologie, UCLouvain Saint-Louis Bruxelles (Belgique) Les équipes mobiles du trajet de soins internés. La désinstitutionnalisation comme seule perspective ? Mathieu Galmart et Tarik Oudghiri Idrissi, Référents des antennes Eolia et Sila de l’équipe mobile du trajet de soins internés de la Cour d’appel de Bruxelles- Brabant-Wallon (Belgique) Lived-experience-and-strengths-based strategies for persons with an internment measure and their families Ciska Wittouk, Junior postdoctoral researcher FWO (1290922N), Institute for International Research on Criminal Policy (IRCP), Ghent University (Belgium)
Cartuyvels, Yves ; De Spiegeleir, Sophie ; et. al. L’internement « pénal » en Belgique à l’épreuve du handicap et de la désinstitutionnalisation. In: Isabelle Hachez, Nicolas Marquis, REPENSER L’INSTITUTION ET LA DÉSINSTITUTIONNALISATION À PARTIR DU HANDICAP, Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles : Bruxelles 2024, p.1220 p.