Scientific presentation

Le XVIIIe siècle voit se produire une évolution considérable dans la manière dont la société occidentale envisage l’enfant. La société médiévale n’avait pas conscience de la spécificité distinguant l’enfant de l’adulte. Dès que l’enfant était en âge de vivre sans soins permanents de sa mère, il basculait dans le monde des adultes, dont il empruntait le travail, les jeux, les habits, les écrits.

Sous l’influence des Jésuites, à la fin du XVIIe siècle, cette vision de l’enfance se modifie progressivement : l’enfant devient un être à éduquer. La création de collèges et de « petites écoles » témoignent de ce nouvel intérêt. L’enfant dispose désormais d’un univers qui lui est propre, distinct de celui de l’adulte.

Les pratiques éducatives évolueront à plus grande échelle tout au long du XVIIIe siècle. L’enseignement cherche à développer responsabilité, esprit et goût chez l’enfant. Ses contenus et ses méthodes sont remis en question : on tente d’innover, de rendre les leçons plus attrayantes pour un public jeune. Elles prennent de nouvelles formes : dialogues, saynètes, théâtre éducatif.

Ces changements ont des conséquences sur l’écrit. Une réelle production de livres pour enfants voit le jour, inimaginable auparavant. De petits livres spécifiquement dédiés au jeune public sont édités un peu partout en Europe : abécédaires, catéchismes, leçons de civilités, manuels…

L’Atlas des enfans édité en 1774 est une excellente illustration de cette évolution. Dédié aux jeunes gens, son contenu et sa forme ont été étudiés pour rendre les leçons de géographie plus attrayantes. Chaque chapitre, dédié à une région particulière de l’Europe ou du monde, est constitué de questions et réponses permettant aux élèves de s’entraîner. Le texte dépasse la thématique géographique stricte : y sont abordés des aspects aussi variés que le climat, le gouvernement, la religion, le caractère des habitants, les productions, les forces de chaque état. Une carte géographique complète chacun des chapitres. Les noms y ont été remplacés par des nombres ou des lettres, à la fois dans un but de simplification et d’entraînement.

En réalité, l’histoire de cet ouvrage remonte à deux décennies avant l’édition lyonnaise. Il aurait été rédigé par Christiaan A. Sepp, auteur et graveur, et publié pour la première fois en néerlandais par Frans Houttuyn à Amsterdam, en 1758. Deux ans plus tard, Jan Hermann Schneider, autre imprimeur d’Amsterdam, rachète plaques et droits à Houttuyn et en publie une nouvelle édition, en français cette fois. Elle inclut désormais un frontispice et est complétée d’un Nouveau traité de la sphère. L’ouvrage est un véritable succès : il sera édité six fois jusqu’en 1785.

Ce succès le rend vulnérable au plagiat : l’ouvrage de Schneider sera piraté plusieurs fois à travers l’Europe et dans différentes langues. L’une de ces versions piratées (pas la première) n’est autre que notre édition lyonnaise de 1774, imprimée par J.-M. Bruyset. La préface indique erronément que les cartes ont été réalisées d’après G. Delisle : elles sont pourtant de très proches copies des gravures de C. Sepp. Si l’ouvrage illustre donc bien l’émergence d’une littérature spécifiquement dédiée aux enfants, à la fin du XVIIIe siècle, il témoigne également de la transmission des textes à travers toute l’Europe, et ce, avec ou sans l’accord de leur auteur ou imprimeur original.

Stéphanie Simon
Directrice opérationelle

Cette présentation a été réalisée dans le cadre du catalogue de l'exposition Empreintes. Patrimoine écrit, témoin de l’Histoire qui s'est déroulée à la Cité Miroir (Liège), du 21 avril au 20 juillet 2018.